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Niger: Moscou à la manœuvre

publié le 30/07/2023 | par grands-reporters

La stratégie d’influence de Moscou se construit contre l’Occident, le thème de l’anti-néocolonialisme compte fédérer les différentes ethnies. Par Gilles Bridier

On prête à la Russie une attitude opportuniste pour soutenir des coups d’État dans des pays africains comme au Niger. En réalité, elle y a constitué des réseaux d’influence depuis fort longtemps. Du temps déjà de l’Union soviétique, Moscou proposait des bourses d’études aux étudiants souhaitant poursuivre leur cursus à l’étranger. Pour les retoqués qui avaient regardé vers la France, l’URSS offrait une solution alternative. C’est ainsi que, avec le retour au pays de ces nouveaux diplômés, un réseau d’influence acquis aux intérêts russes se mettait en place.

Avec la chute de l’Union soviétique, cette stratégie fut interrompue pendant une dizaine d’années. Mais elle a repris, prospérant sur les jalons placés lors l’ancien régime, installant une élite prête à réclamer le soutien de Moscou. Exactement le scénario qui se développe aujourd’hui à Niamey…

La Russie ne fut pas la seule à vouloir bousculer l’ex-colonisateur, la France. Les États-Unis, le Japon et la Chine ont aussi noué des partenariats pour s’implanter. Mais malgré l’intérêt manifesté par ces grandes nations, le Niger est resté l’un des pays les plus pauvres de la planète. Miné par la corruption et victime du détournement de ses richesses, il est en proie à une instabilité politique quasi chronique depuis son indépendance en 1960, illustrée par cinq coups d’État et combien de gouvernements renversés. La démocratie, au Niger, patine.

Conflits inter-ethniques

Au-delà de la fragilité des institutions, il existe pour les populations une réalité moins perceptible pour le monde occidental. La nation nigérienne est constituée d’ethnies qui, historiquement, se défièrent. Si les Haoussas représentent un peu plus de la moitié de la population, les Djermas (ou Zarmas) en forment un petit quart et on compte aussi un grand nombre de Touaregs et de Peuls. Les Kanouris, Toubous et Gourmantchés complètent cette diversité ethnique.

Tous sont citoyens nigériens, mais tous n’ont pas le même accès à l’éducation, à l’administration et aux instruments du pouvoir. Or, l’appartenance à l’ethnie demeure fondamentale, entretenant des conflits séculaires plus ou moins larvés. Les deux révoltes des Touaregs contre le pouvoir central de Niamey ont révélé la persistance de ces conflits, tout comme ceux qui peuvent exister avec les Peuls.

Fédérer sur l’anti-Occident

La présence française a échoué dans son accompagnement à installer un système éducatif et une administration propices à la construction par ces ethnies d’un avenir démocratique commun. Les passe-droits et pots de vin face à la pauvreté ont fait le reste, avec en plus l’échec de la coalition occidentale au Sahel dans la lutte contre la poussée djihadiste.

La Russie n’eut plus qu’à activer ses réseaux et développer sa propagande sur une base susceptible de fédérer tous les ressentiments : la critique de l’Occident, et de l’ancien colonisateur. La concomitance du coup d’État au Niger et la tenue du deuxième sommet Russie-Afrique vilipendant le néocolonialisme occidental, ne peut guère laisser de doute sur le rôle joué par Moscou dans les évènements à Niamey.

NIAMEY, NIGER -Manifestants pro-russes-  Photo Balima Boureima / ANADOLU AGENCY

Moscou avance, la France recule

Au deuxième sommet Russie-Afrique, Vladimir Poutine a renforcé son emprise sur le continent africain.

À Saint-Pétersbourg, sur les 49 délégations présentes, 17 chefs d’État s’étaient personnellement déplacés. Le président russe peut se targuer d’avoir ouvert un nouveau chapitre de la géopolitique en Afrique. Même si les Africains ont déploré le revirement de Moscou sur l’accord céréalier – qui permettait au blé ukrainien d’être exporté par la Mer Noire –  les délégations ont confirmé, comme à l’ONU, qu’elles s’éloignaient des positions occidentales.

La déclaration commune publiée en fin de sommet, en faveur de la création d’« un ordre mondial multipolaire plus juste, équilibré et durable, s’opposant fermement à toute forme de confrontation internationale sur le continent africain », est certes ambigüe, surtout établie avec le Kremlin.

Mais la décision de la France de suspendre son aide au développement et son appui budgétaire au Niger, après avoir dû abandonner ses positions en Centrafrique, au Mali et au Burkina Faso, laisse un peu plus présager des renversements d’alliances dans la région sahélienne. Conséquences : perte de l’influence occidentale, montée en puissance de la présence russe et poussée du djihadisme qui profite de l’instabilité de la zone.

Certes, l’Union africaine a elle-même sommé les militaires putschistes au Niger de restaurer l’autorité constitutionnelle dans le pays. Mais quoi qu’il advienne, une page a été tournée : la France ne peut plus fermer les yeux sur le rôle de bouc émissaire dans lequel certains pays africains veulent la confiner.

 

 


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