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Nouvelle-Calédonie: la tragédie d’Ouvéa

publié le 11/02/2013 | par Jean-Paul Mari

Pouvait-on éviter les 21 morts d’Ouvéa? Les
74 soldats d’élite du GIGN et du Ile choc
portent-ils seuls la responsabilité du
massacre? Dun côté des témoignages
accablants, de l’autre des .démentis
catégoriques.


C’était une grotte sacrée où l’on
passait sous terre pour être direc-
tement en contact avec le monde
des ancêtres, un lieu tabou où
l’étranger, les femmes et l’alcool
étaient proscrits, un espace réservé
aux initiés du clan, aux « vieux» et aux
guerriers, à ceux qui savent comment « faire la
coutume » avec la roche, un sanctuaire capable
d’arrêter les balles et de suspendre le vol des’
bombes venues du ciel.

Alphonse Dianou, militant indépendantiste,
et la trentaine de membres de son groupe
en étaient tous intimement persuadés: ici, rien
ne pouvait arriver à un Kanak. L’endroit était
imprenable, invulnérable, invisible. Personne
ne pouvait leur enlever les 23 otages qu’ils
détenaient. Ici, à l’extrémité nord de l’île d’Ouvéa,
non loin du « trou aux tortues », le dos aux
falaises du Pacifique et face aux plages de sable
blanc, la grotte de la tribu de Gossana était à
l’autre bout du monde des Blancs. Hors de leur
portée.

C’est fini. Aujourd’hui, militaires et journalistes
piétinent dans la boue mêlée de sang. On
marche sur des restes de boîtes de conserve, des
couvertures sales et des chaussures trouées. Les
lourdes grappes de rochers noirs et les éclats de
corail sont désignés comme des «bunkers
naturels » et des « postes de combat ». Depuis
le 5 mai à l’aube, l’endroit a perdu sa magie.
Ce matin-là, à 6 h 15 précises, le souffle des
hélicoptères Puma fait ployer les arbres autour
de la grotte. Les sentinelles kanakes regardent à
tort vers le ciel; elles ne savent pas encore que
l’armée a mis la nuit à profit pour investir la
brousse alentour. Les Kanaks sont encerclés.
Pour libérer les otages, ilyalà un commando du
GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie
nationale) dirigé par le capitaine Philippe Legorjus.

Pour mener l’assaut, on a fait venir des unités du commando de marine
« Hubert », de la base de Toulon, et même des
hommes du Il e choc, l’unité de la DGSE qui a
remplacé le « service’ action » dissous après
l’échec du « Rainbow Warrior. Au total,
74 soldats d’élite équipés de Magnum 357, de
fusils à lunette, de fusils d’assaut FAMAS capables
de transpercer n’importe quel gilet pare-balles, de talkies-walkies et de masques à gaz, de
grenades offensives pour assommer l’adversaire
et de grenades flash pour l’aveugler.
L’opération« Victor » a été conçue comme
une action de guerre. Au signal donné par le
passage des hélicoptères, une dizaine de postes
de garde tenus par les indépendantistes sont
attaqués et réduits. En trois minutes.

A une
centaine de mètres de la grotte, là où les ravisseurs
avaient installé le fusil-mitrailleur AA 52
pris aux gendarmes, on peut voir encore aujourd’hui
une large traînée noirâtre, longue de –
25 mètres, comme si une bou1e de feu avait
tracé un chemin de cendres et léché la cavité
rocheuse dans laquelle s’étaient retranchés les
serveurs du poste de mitrailleuse : «Nous
avons utilisé deux lance-flammes pour neutraliser
certains postes, confie le capitaine Philippe
Legorjus. C’était un vrai combat, une
opération militaire. On a tiré une dizaine de
milliers de cartouches de part et d’autre. Les
ravisseurs se sont battus bec et ongles jusqu’à la
fin. Ils sont morts comme des guerriers. Les
armes à la main. » .

Les combats vont durer toute la matinée.
Vers 14 heures, une fois le dernier coup de feu
tiré et le dernier otage libéré sain et sauf, on
pourra alors établir le bilan de l’opération
« Victor» : 19 morts parmi les Kanaks et 14 prisonniers
2 soldats tués, une demi-douzaine de
blessés, gendarmes et militaires. Et quelques
questions en suspens sur les circonstances, les
risques et la nécessité d’une intervention aussi
sanglante.  »
« Il nous fallait agir parce que la tension
devenait dangereuse pour les otages et que nous
avions exploré sans succès toutes les possibilités
de négociation », explique Bernard Pons, le
ministre des DOM-TOM. Toutes les possibilités?
A voir. Reprenons.

La plus meurtrière et la plus longue prise
d’otages de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie
a duré quatorze jours. Elle commence le vendredi
22 avril, à 7 h 55 du matin, sur le seuil de
la gendarmerie de Fayaoué, au centre de l’île
d’Ouvéa: Nous sommes à deux jours du pre- .
mier tour des élections) le FLNKS a promis une
« mobilisation musclée », la gendarmerie du
territoire est en état d’alerte absolue mais personne
ici ne se méfie de ces trois Kanaks qui
discutent comme d’habitude sur le pas de la
porte d’un bureau. Quelques minutes plus
tard, un chef de brigade se retrouve face à un
homme armé d’un couteau qui lui dit d’une
voix tranquille qu’il est son prisonnier: « J’ai
d’abord cru à une blague, puis j’ai essayé de me
défendre », dit le maréchal des logis Lacroix. Il
est maîtrisé. A côté de lui, le lieutenant Florentin arrive à dégainer son arme et ouvre le feu.

Son agresseur est blessé mais réussit à lui porter
un coup de hache sur la tête. Une voiture
d’indépendantistes force alors l’entrée de la
gendarmerie et des Kanaks cachés dans -la
brousse investissent la brigade.
Ensuite? On parlera longtemps de la barba-.
rie des Kanaks de Fayaoué, les Calédoniens se
répéteront à l’envi des histoires de gendarmes
mobiles décapités, éviscérés et mutilés à l’arme
blanche, et le ministre de la Défense André
Giraud affirmera que les gendarmes ont été
massacrés à coups de machette.

Le rapport
« d’autopsie n’a pas été rendu public mais il est
formel: la seu1e blessure provoquée par arme
blanche est ce coup de hache porté au lieutenant
Florentin. Les quatre gendarmes abattus
ont été tués par balles au cours de la fusillade
qui a éclaté entre Kanaks et gendarmes mobiles.
« L’objectif était de prendre des hommes en
otages, pas de les tuer », grimace un responsable
du FLNKS.

Quand Bernard Pons arrive à Nouméa le
24 avril, les indépendantistes retiennent
27 gendarmes en otages et ils disposent de fusils
d’assaut FAMAS, de pistolets automatiques et
d’une mitrailleuse, un arsenal dérobé à la brigade
de Fayaoué. Le lendemain, à 6 h 30 du
matin, Il gendarmes sont relâchés par les tribus
du Sud. Mais plus haut, dans le nord d’Ouvéa,
la grotte de Gossana reste muette et invisible;
450 hommes fouillent l’île en vain.

Du
coup, gendarmes et militaires investissent les
tribus de la région: « On nous a tous regroupés
au centre du village, raconte un ancien de
Gossana. Les militaires ont défoncé les portes et
saccagé l’intérieur des cases. Le lundi (25 avril),
3 hommes ont été attachés à un poteau les bras
en avant et battus à coups de crosses et de pieds.
Le mardi, la population a dû rester toute la
journée au soleil. Alors, les  »vieux coutumiers »
ont accepté d’aider aux recherches. »

Une fois la grotte découvert~, tous ceux qui
approcheront des avant-postes kanaks seront
fait prisonniers. D’abord, un officier du RI-.
MAP, qui a suivi, avec un porte-parole du grand
chef et des pisteurs,’ les traces qui mènent au
lieu de détention. Puis Jean Bianconi, le premier
substitut du procureur de la République,
qui a pourtant l’habitude de régler les problèmes
de brousse avec du temps et de longues
palabres. Il est accompagné du capitaine Philippe Legorjus et de cinq hommes du GIGN.

Ce mercredi 27 avril en fin de matinée, les Kanaks
d’Alphonse Dianou détiennent en tout 24 otages
dont le chef du GIGN !
Les nouveaux arrivants découvrent une
grotte étroite, longue d’une quinzaine de mètres,
encombrée de colonnes et de stalactites. Le
sol est recouvert d’humus végétal. Il fait sombre,
les parois suintent d’humidité, on étouffe.
Chaque matin à 6 heures, de vieux Kanaks et de
jeunes «porteurs de thé » de la tribu voisine
apportent le petit déjeuner. Les gardiens pas-
– sent le reste de la journée allongés sur des
couvertures, ils jouent « à l’aveugle» aux
échecs dans le noir, sans échiquier, et ils inventent
des mots croisés dont les définitions donnent
le mot « otage».

Les gendarmes territoriaux et mobiles, eux,
sont relativement libres de leur mouvement,
mais les hommes du GIGN resteront
constamment attachés deux par deux, menottes
aux mains. Entre Kanaks’ et GIGN, le
contentieux est lourd depuis la mort d’Eloi
Machoro, le 22 janvier 1985. Plus grave, le
capitaine Picon, officier qui commandait les
gendarmes d’élite qui ont abattu Eloi Machoro,
est là, parmi les otages, à la merci des ravisseurs.
Mais les Kanaks ne le savent pas.

Les hommes du GIGN ne sont jamais battus
ou insultés, mais leurs relations sont réduites et
la menace reste constante. D’autant qu’un
jeune porteur de thé de la tribu a reconnu un des
hommes du GIGN accusé d’avoir brutalisé un
ancien du village pour le faire parler: « Du
fond de la grotte, j’entendais: « Tuez-le ! », raconte
un des otages. Ils l’ont attaché à un arbre
mais ils ne l’ont pas tué. Alphonse Dianou est
intervenu en sa faveur. »

En deux semaines de détention, les prisonniers auront le
temps de nouer des contacts avec
leurs ravisseurs. Avec 1es plus modérés, comme
Martial, gardien jovial qui garde de son service
militaire à Mont-de-Marsan une pointe d’accent
du Sud-Ouest et augmente en secret les
rations des hommes du GIGN. Avec quelques
durs aussi comme Hilaire, toujours tendu, la
menace à la bouche et le fusil à la main. Et puis
il y a surtout Alphonse Dianou, chef de groupe
dont la personnalité et le charisme écrasent
tous les autres. A 29 ans, Alphonse Dianou a
abandonné des études de théologie pour se
consacrer à la lutte politique. Il a rejoint le parti
de Jean-Marie Tjibaou, l’Union calédonienne,
dont il devient membre de la commission exécutive,
responsable des problèmes de jeunesse.
Animateur des comités de lutte de Nouméa,
interpellé lors d’une manifestation place des
Cocotiers,

Alphonse Dianou a rejoint son île
d’Ouvéa pour aller jusqu’au bout de sa double
rupture: avec l’Église et avec les institutions
françaises. Retrait des militaires, annulation
du statùt Pons, indépendance kanake socialiste : les revendications et le mode d’action ont
été définis lors des différents congrès du
FLNKS.

La structure militaire du groupe épouse la
structure coutumière et les gardiens traditionnels
de la chefferie sont aussi les sentinelles de
la grotte. Pour la moindre décision, Dianou
réunit tous les commandos pour obtenir un
consensus à la mode kanake, paslibyenne. « On
a parlé des heures entières de philosophie, de
politique et de religion, raconte le capitaine
Legorjus. Dianou expliquait le droit à l’indépendance,
la coutume kanake, les anciens et le
rapport vertical à Dieu.

Étrange personnage, il
pouvait être doux, très calme puis passer à la
menace le lendemain en disant: « Philippe,
faites ce que je vous dis ou je vous tue d’un coup
de calibre 12. » Pour le spécialiste de la prise
d’otages, ces discussions sont destinées à mieux
comprendre la mentalité du ravisseur et à gagner
sa confiance. Mais pour d’autres gendarmes
mobiles, le charisme de Dianou va jouer, au point que certains, atteints du syndrome de
Stockholm, commencent à sympathiser avec la
cause kanake. Il est temps de négocier!

Depuis le début des opérations, l’île d’Ouvéa
est soumise à un black-out total: blocus aérien
et naval, communications téléphoniques et
brouillage des émissions radio. Il n’empêche.
Le FLNKS de Nouméa réussit à garder des
contacts avec la grotte: par des pêcheurs, les
émissions de Radio-Vanuatu et un poste radio
amateur. Il a pu faire passer au moins un
message essentiel à Alphonse Dianou : ne pas
tuer les otages.

Le jeudi 28 avril au matin, le capitaine du
GIGN quitte la grotte avec un objectif précis.
La veille, Dianou accepté que l’on prenne
contact avec le bureau politique du FLNKS,
qui a déjà demandé publiquement la nomination
d’un médiateur. C’est le début d’une extraordinaire
tentative de négociation secrète
entre les autorités et le FLNKS ; les tractations
vont durer quatre jours, et se terminer par un
échec. On n’est plus au temps d’Edgard Pisani.
où les négociations entre le gouvernement et les
Indépendantistes étaient fréquentes, où les intermédiaires
étaient connus et les codes bien
établis.

Aujourd’hui, le gouvernement de Bernard
Pons et les indépendantistes n’ont plus aucun
contact. Alors on bégaie. La négociation va être
menée par des gens pleins de bonne volonté
mais qui ne savent pas comment s’y prendre.
Tout est mal choisi, les hommes, les moyens et
les termes de la discussion. On propose le nom
de Frank Wahuzue, spécialiste des affaires
coutumières, Kanak ancien membre du RPCR
devenu un indépendantiste modéré. Le
FLNKS s’en méfie.

A Nouméa, un fonctionnaire métropolitain
joue le rôle d’intermédiaire pour le gouvernement.
Premier contact: on attend Frank Wahuzue à l’aéroport de Nouméa. Il ne vient pas.
Le lendemain, l’intermédiaire et le capitaine
du GIGN sautent dans un hélicoptère et vont le
voir sur son île à Lifou. Frank Wahuzue accepte
de jouer les médiateurs, à condition que le
bureau politique du FLNKS soit d’accord. Le
problème est que l’opération n’est pas diligentée
par l’ensemble du bureau politique mais
par le parti le plus actif, cdui de l’Union calédonienne.

Le samedi 30 avril, le téléphone
sonne au bureau du FLNKS à Nouméa. Au
bout du fil, l’intermédiaire explique la situation,
demande une démarche humanitaire et
l’accord pour la libération des otages. Il prévient
que «plus rien ne se fera par téléphone»
et il raccroche.

A Paris, Jacques Chirac s’impatiente et exige
une action. Le dimanche 1er mai à Nouméa,
Bernard Pons et le capitaine Legorjus ont une
violente discussion. Le ministre exige qu’on
donne l’assaut, le plus vite possible; le spécialiste du GIGN
croit lui à une solution politique
et îl refuse de mettre la vie des otages en péril.
L’un insiste, l’autre s’emporte: «Sachez que
500 000 voix électorales ne sont pas négociables
contre la vie de mes gendarmes! » Et il
menace: en cas d’assaut sans son accord, le
capitaine démissionnera et fera savoir pourquoi.
Le ministre doit céder.

Le même jour, à 16 h 30, l’intermédiaire
reçoit enfin la réponse du FLKNS .. Quelques
phrases tapées à la machine sur une feuille de
papier blanc. Les voici: «Des informations
contradictoires reçues sur la situation à Ouvéa,
du fait de l’interdiction des médias de se rendre
sur place, ne permettent pas à toute la population
et au peuple de France de connaître ce que
le gouvernement fait en Nouvelle-Calédonie et
tout particulièrement sur cette île. Ces raisons
ne permettent pas d’adhérer à votre proposition.

Par contre, afin que tout le monde puisse
être informé de la réalité à Ouvéa, il est demandé
que toute la presse soit autorisée à se
rendre sur place. l … ] Les deux intermédiaires
doivent poser la question aux personnes qui
retiennent les gendarmes de savoir si elles
désirent rencontrer des journalistes. l … ] A la
lumière des informations apportées par ces
démarches, des éléments nouveaux serviront à
une approche délicate du dénouement de la
situation. » En clair, le FLNKS prend son
temps, il renvoie la balle au gouvernement et
lui demande de faire un geste pour débloquer la
situation.

Une équipe de télévision? Le capitaine
Legorjus y croit. Et Alphonse Dianou est demandeur
à condition qu’aucune femme journaliste
ne pénètre dans la grotte. Le 2 mai,
l’équipe reçoit l’accord. Le 3 au matin, les journalistes
attendent en vain le départ de l’hélicoptère
vers Ouvéa. L’opération est annulée. Entre-
temps, Bernard Pons a interdit au capitaine
du GIGN de revenir vers la grotte. Le ministre
a exploré d’autres voies, l’ancien médecin a
même demandé au pharmacien de l’hôpital de
Nouméa s’il existait des somnifères sans goût
pour les glisser dans l’eau minérale des ravisseurs.

Las ! Les doses d’Allopéridol expérimentées
sur six volontaires à l’infirmerie de l’état-major
donnent de piètres résultats. De son côté,
le général Vidal étudie la possibilité d’utiliser
des bombes de 250 livres et des missiles guidés
par laser. Le ministre lui demande d’estimer
par écrit les risques d’un assaut. Réponse du
général: « Un à deux tués, six à huit blessés
dans le meilleur des cas. Au pire, une dizaine de
tués et une vingtaine de blessés. »

Le mercredi
4 mai, dans la grotte d’Ouvéa, Alphonse Dianou
ne voit pas arriver l’équipe de télévision
promise. Le capitaine Legorjus obtient des
Kanaks un nouveau délai. Mais les journalistes
rie viendront plus. Bernard Pons a dit non; le
gouvernement a décidé de donner l’assaut.
DeuX jours auparavant, on a réussi à faire
passer aux otages deux minuscules mais très
puissants P 38 Smith et Wesson démontés et
cachés dans des boîtes de ration. Au fond de la
grotte, les hommes du GIGN ne sont plus
désarmés et le capitaine Legorjus est désormais
partisan de l’intervention.

Le 5 mai à 6 h 15, l’opération « Victor) est
déclenchée. « On s’attendait à de longues négociations jusqu’au lendemain du second tour,dit un responsable du FLNKS. Pas à une telle
boucherie. »Aujourd’hui, on recueille les témoignages
des survivants.
Trois séries de témoignages viennent
contredire la thèse de l’assaut militaire très dur
mais sans bavure. Il y a d’abord cet« ancien »de
la tribu, un vieux Kanak qui était aux côtés
d’Alphonse Dianou dans la grotte au moment
de l’assaut final. Dehors, les militaires demandaient
une reddition.

« Je préfère mourir sur ma terre », a répondu
Dianou. Mais l’ancien l’a supplié :« Nous,on a
envie de vivre. Alphonse! Pense à nous. »Le
chef kanak a alors accepté de se rendre et de
sortir, sans arme, avec Vinceslas Lavelloi et un
autre Kanak. Quand l’ancien sortira à son tour,
il affirme avoir trouvé Alphonse Dianou blessé
aux jambes et les deux autres touchés à la tête et
au thorax. A noter que le capitaine Legorjus
dément formellement cette version et affirme
qu’il a vu Alphonse Dianou sortir déjà blessé de
la grotte.

Il y a aussi des témoignages, beaucoup plus
durs, des jeunes porteurs de thé de la tribu (7
hommes entre 15 et 22 ans). Eux aussi étaient
dans la grotte. Et ils accusent: «Alphonse
Dianou a accepté de se rendre et il a jeté ses
armes. Lui et Vinceslas Lavelloi sont montés
vers la sortie. On les a suivis. Alphonse Dianou
avait dans les mains une sculpture coutumière.
On l’a fait coucher par terre et un militaire lui
a tiré dans les jambes. Alphonse a été ensuite
allongé sur un brancard, un médecin lui a posé
une perfusion. Un militaire est arrivé, il a
arraché la perfusion, renversé le brancard et l’a
battu à coups de crosse et de rangers.

Un autre
militaire a appelé Lave1loi. il s’est levé, a été
emmené derrière la grotte. Et1’on a entendu un
coup de feu. » Les mêmes témoignages affirment
qu’un des porteurs de thé, Waina
Amossa, était couché par terre, qu’on l’a appelé, qu’il s’est levé, et qu’il a été abattu sur
place d’un coup de feu.

Il y a enfin un troisième témoignage, qui
n’émane pas de membres de la tribu mais d’un
officier de gendarmerie. Le voici : « Quand je
suis arrivé devant la grotte, Alphonse Dianou
était déjà blessé d’une balle dans la jambe
.(NDLR: qui a atteint l’artère fémorale). J’ai
demandé une évacuation d’urgence par hélicoptère
au gradé présent sur les lieux, mais il a
refusé en estimant que la blessure n’était pas
grave. » Alphonse Dianou sera transporté par
camion sur une trentaine de kilomètres en
direction de l’aéroport. Il est mort pendant son
transfert.

Démentis par le général Vidal et le capitaine
Legorjus, ces témoignages évoqués par le journal
« le Monde» ont « indigné» le ministre de
la Défense André Giraud, qui a déposé une
plainte en diffamation contre le quotidien.
« Cette affaire était une affaire qui concernait
l’État, a dit Bernard Pons. Elle impliquait
l’honneur de la gendarmerie, l’honneur de
l’armée française, l’honneur de la France. »Et
il a répété : «On a décidé d’intervenir après
avoir exploré toutes les voies de la négociation.»
On aimerait en être convaincu. Bilan de
l’opération « Victor» : sept heures de combats,
21 morts, une situation politique figée dans le
sang.

JEAN-PAUL MARI •


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