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Otages: Questions sur une libération.

publié le 01/07/2011 | par Jean-Paul Mari

Seul l’otage lui-même connaît vraiment son histoire. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier ont vécu 18 mois d’obscurité, comment vont-ils se rétablir? Par Jean-Paul Mari, grand reporter au Nouvel Observateur


Contrairement à la plupart des précédents retours d’otages sur le sol français, Nicolas Sarkozy a accueilli jeudi matin avec discrétion les deux journalistes de France 3 libérés la veille, après dix-huit mois de détention en Afghanistan. (c) Afp Contrairement à la plupart des précédents retours d’otages sur le sol français, Nicolas Sarkozy a accueilli jeudi matin avec discrétion les deux journalistes de France 3 libérés la veille, après dix-huit mois de détention en Afghanistan.

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« Toute prise en otages est une souffrance. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier ont été retenus en otage pendant longs 18 mois. Ce sont des grands-reporters pour lesquels le confinement constitue, par essence, l’exacte antithèse de leur mode de vie habituel.

Chaque prise d’otage est une histoire individuelle, une histoire personnelle que chacun vit différemment. Il faut faire attention à ne pas confondre souffrance et traumatisme. Dans leurs cas, on croit savoir qu’ils n’ont pas été « frappés ou menacés de mort » durant leur détention. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier sont des reporters aguerris, ils peuvent supporter la souffrance. En revanche, en ce qui concerne le traumatisme, l’analyse doit être différente. Pendant sa captivité, un otage subit souvent des menaces de mort, et vit des simulacres d’exécution, des mises en scène de sa propre mort. Ces mises en scène sont des épreuves terribles pendant lesquelles l’individu est persuadé qu’il « va mourir a vu la mort, est déjà mort ». Pour ces hommes-là, on ne parle plus de vivants, mais de survivants. Sur le plan psychologique, il n’est d’ailleurs pas rare que ces épisodes déclenchent des névroses traumatiques dont les conséquences sur la vie peuvent être irréversibles.

Revenir au monde

Tous les otages ont souffert, sans pour autant par la suite souffrir de « névrose traumatique ». Seul, l’otage lui-même connaît vraiment son histoire. Les réponses seront données par le temps. Ils ont vécu 18 mois d’obscurité, comment vont-ils se rétablir ? Sur le tarmac de Villacoublay, on a bien vu qu’ils avaient l’air heureux de retrouver le monde, leurs familles, leurs proches. Mais ce qui m’a frappé, c’est notamment le visage d’Hervé Ghesquière dans l’Atrium de France Télévisions, ce visage blême, ce choc, comme saisi de vertige, d’agoraphobie devant autant de monde. Ils étaient dans l’ombre, les voilà en pleine lumière. Eblouis.

Ils reviennent de la guerre, leur guerre. Revenir à la banalité du quotidien, telle sera leur première difficulté. Il va leur falloir réapprendre à vivre « normalement ». Et cela peut prendre des semaines, voire des mois. Néanmoins, quand Hervé Ghesquière parle déjà de repartir en reportage, cela ressemble à un acte de foi, la volonté de reconquérir son identité passée. « Enfin libres » ? Oui. Physiquement. Mais une partie d’eux-mêmes est toujours enfermée là-bas. Par la suite, ils auront peut-être besoin d’effectuer un travail psychologique. D’anciens otages se sont très bien remis, d’autres pas.

L’irresponsabilité d’Etat

Tous ceux qui ont vécu des prises d’otages se sentent coupables de ce qui leur est arrivé. Dans ce cas, d’autant plus coupables que le gouvernement les a heurtés dès les premiers mois de leur détention. Cela pose un problème grave. La présidence de la République de l’époque a dit d’eux qu’ils étaient incompétents, amateurs ou encore « chasseurs de scoops ». Alors qu’ils sont l’exact contraire de cela. Ils sont partis faire leur métier, un métier de reporter. Cette entreprise de dénigrement de leur travail est irresponsable. D’autant plus grave qu’elle s’effectue au sommet de l’Etat. On demanderait en fait aux reporters de s’approcher du feu, de le raconter, à la seule condition qu’ils ne se brûlent jamais, sous peine d’être désignés coupables. C’est inacceptable et irréaliste. Cette volonté du pouvoir, qui s’est déjà exprimée en Irak, veut imposer aux reporters de faire un choix. Rester avec l’armée, sous le contrôle de l’Etat, ou se mettre hors-la-loi.

Cette conception témoigne d’une volonté politique profonde de contrôler l’information, une volonté de faire travailler le reporter là où le pouvoir veut qu’il soit. Pas ailleurs.

Dans cette affaire, c’est le gouvernement qui a exigé d’abord le silence des médias. Avant de le briser. Et pour… discréditer les reporters. Aujourd’hui, le pouvoir, dont les services ont le mérite d’avoir fait libérer les otages, essaie de récupérer le crédit politique de leur libération en faisant oublier qu’il les a flagellés en place publique. Cela pose un problème grave de démocratie et de liberté d’information. Ce discours au sommet a fait énormément de dégâts. Les otages sont blessés, les familles désemparées, l’opinion publique désinformée. Et le droit au reportage, à l’information soumis à caution. Pris lui aussi en otage. Un discours que l’on a certes l’habitude d’entendre dans les pays du Tiers-Monde, ou les pays en guerre. Pas dans la bouche de nos propres responsables politiques.

Jean-Paul Mari


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