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Prix Albert Londres: les lauréats (2014)

publié le 13/05/2014 par Jean-Paul Mari

Le Prix Albert-Londres 2014, plus prestigieuse récompense du journalisme en France, a été décerné hier lundi à Bordeaux à Philippe Pujol, du quotidien La Marseillaise — une rareté pour un journaliste « localier » — et au trio international formé par les Français Julien Fouchet, Sylvain Lepetit et le Pakistanais Taha Siddiqui (Envoyé spécial, France 2).

Quand Philippe Pujol, 38 ans, spécialiste des faits divers pendant près de dix ans, Marseillais né à La Belle de Mai, quartier de la cité phocéenne, a reçu l’appel du jury de l’Albert Londres lui annonçant qu’il lui fallait être à Bordeaux lundi pour recevoir le prix, il aurait répondu en reporter : « Mais maintenant, je ne vais plus rien pouvoir faire », en évoquant la déperdition des sources qui désormais le reconnaîtront.

Il parle comme il écrit, d’un trait, avec gouaille et respect, de ces habitants des quartiers nord racontés sur dix articles, la série « Quartiers shit », à l’été 2013. Des hommes et femmes piégés, car, comme lui a dit l’un d’entre eux : « on dit qu’on ne peut pas rentrer dans nos quartiers, moi je dis qu’on ne peut pas en sortir ». Au-delà des clichés, avec un ton engagé, à l’image de son « quotidien d’opinion et de gauche », fondé il y a 70 ans, et en homme qui croit, dit-il, « à la subjectivité honnête ».

Avec sa série, Philippe Pujol, biologiste et informaticien par ailleurs, a l’espoir de faire comprendre que dans sa ville, déjà si bien décrite par Albert Londres, « les élus de tous bords exploitent cette misère absolue car ils peuvent se poser en sauveurs ». Des quartiers rongés par l’économie du cannabis où « culpabiliser les mères reste l’argument le plus rassurant pour beaucoup de gens qui ignorent tout de la vie dans ces cités ».

Son style est « empathique sans être compassionnel, plein d’audace et de fulgurances », a estimé le Jury en décernant ce prix à un journaliste de la presse quotidienne régionale, ce qui est extrêmement rare. « Cela m’a fait plaisir pour les gens dont je parle. Je vais aller en voir quelques-uns et organiser une petite sauterie », explique le lauréat.

– Au-delà des clichés sur le Pakistan –

A des milliers de kilomètres de là, au Pakistan et en Afghanistan, c’est un peu la même chose qu’ont ramené Julien Fouchet, Sylvain Lepetit et Taha Siddiqui : il s’agissait de « rencontrer ces Pakistanais courageux qui défient la mort pour se battre », raconte le premier, évoquant la lutte presque impossible contre le joug des talibans opposés au vaccin anti-polio, un virus pourtant responsable de paralysies irréversibles.

Dans « La guerre de la polio », reportage produit par Babel Press et diffusé par Envoyé Spécial en décembre 2013, le trio est également allé au-delà des clichés sur le Pakistan qui ne se résume pas aux « mollahs extrémistes et aux complots », « pour mettre en valeur ces héros du quotidien » : des médecins et membres d’ONG tués par dizaines en tentant de prévenir la maladie.

Julien Fouchet, aujourd’hui correspondant de France 24 à New Delhi, Sylvain Lepetit, installé à Dubaï où il a sa maison de production, Caravelle Prod, et Taha Siddiqui, correspondant notamment du New York Times, âgés respectivement de 38, 32 et 30 ans, ont accédé à l’intimité de familles pachtounes touchées par la polio, maladie pourtant en voie éradication.

Comme à cet instant du reportage où l’on voit un enfant en pleurs, dans les bras de son père et dont le petit genou reste tristement immobile lorsque le médecin le frappe avec son marteau.

S’affranchir « des contraintes d’un formatage d’enquêtes de plus en plus en vigueur dans les rédactions »

Un drame parti d’une fausse campagne de vaccination lancée par la CIA, en pleine traque d’Oussama Ben Laden pour prélever clandestinement l’ADN des habitants et retrouver le chef d’Al-Qaïda. Le stratagème a encore plus éloigné les habitants des deux pays, en particulier dans les zones tribales, des campagnes de vaccination, convaincus désormais par les talibans que les vaccins sont source de mal.

Le reportage, a souligné le jury, a su s’affranchir « des contraintes d’un formatage d’enquêtes de plus en plus en vigueur dans les rédactions ». Une manière de déplorer les consignes toujours plus strictes en termes de montage, de ton, de narration, qui tuent l’originalité des sujets à la télévision.

Le jury présidé par la journaliste Annick Cojean a cette année choisi de remettre le prix à Bordeaux, l’un des ports de départ du reporter Albert Londres pour plusieurs de ses reportages, notamment en Afrique.

Cette 76ème édition du prix (la 30ème pour l’audiovisuel) est dédiée à Josette Alia, ancienne présidente du jury, et grande plume du Nouvel Observateur, décédée le 1er mai 2014.

Cinquante candidatures ont été présentées en presse écrite et 42 pour le reportage audiovisuel.


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