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Quand l’Albanie ouvre ses bras aux touristes…

publié le 13/02/2016 | par Erik Bataille

Vingt ans plus tard, le Kanun n’est plus la Bible des montagnards catholiques du nord. Ils suivent, encore, certaines traditions balkaniques mais leur quotidien s’est adouci. L’État est de retour et le tourisme génère une nouvelle économie locale, à coté de la contrebande intemporelle.


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Les premières rencontres «indigènes du cru» et touristes aventureux furent circonspectes, tant leurs mondes étaient différents, voire antagonistes. Mais le secteur se développe, nourri par les fantasmes du pays interdit, à seulement deux heures de vol de Paris. Un demi-siècle de dictature absolue ne peut qu’exciter la curiosité! Parmi les plus nombreux, les Français sont toujours étonnés quand, à l’hôtel ou au restaurant, on leur répond, très souvent, dans leur langue !

En 1917, la France avait établi un lycée français à Korça, alors sous mandat. Très vite, sa réputation en fait l’établissement de référence dans les Balkans. La majorité des cadres et des élites du pays y seront formés puis continueront leur formation en France, dont la Sorbonne, où elles affineront leur bagage révolutionnaire, avant de revenir au pays.

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Malgré l’isolement et le blocus, la francophilie s’est maintenue. Le dictateur Enver Hoxha, Sali Berisha, le premier président élu, et tant d’autres Albanais de tous milieux, maîtrisent parfaitement notre langue.Tout comme Dritan Tolla, l’ambassadeur d’Albanie à Paris. Il rêve «d’une année 2016 exceptionnelle pour le tourisme.».

Vlora se rêve en futur Nice des Balkans, avec sa promenade aménagée en bord de mer, ses lampadaires stylisés et ses terrasses de café. Mais la station balnéaire n’a rien de plus pour retenir le voyageur expérimenté. Il partira vers la montagne et le col de Llogara, abandonnant les senteurs iodées pour l’ambiance sévère des forêts de pins noirs.

Un brouillard acre et froid, descendu des crêtes enneigées du mont Ciko, submerge les lacets qui s’élèvent jusqu’au col éblouissant de lumière. Perché mille mètres en aplomb d’une mer turquoise. Une dizaine de kilomètres seulement sépare la rudesse culturelle des Balkans de la douceur de vivre à la «Grecque». La route chute alors vers des plages désertes ourlées d’écume, incise les pentes couvertes de bosquets d’aloès, de cactus et de chardons bleus qu’irrigue la fonte des névés d’altitude.

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Des traces filent dans la garrigue odorante où poussent toutes les herbes aromatiques. Un véritable trésor qu’a su exploiter Julien Roche, un autre Français installé ici depuis près de 20 ans. Des cueilleuses locales, rémunérées à la tache, arpentent les moindres recoins du massif pour un célèbre groupe agro-alimentaire français.

Les premiers randonneurs arpentent déjà les anciennes traces pastorales, louvoyant entre éboulis de craie et badlands ocres, cherchant un passage à travers les buissons de marjolaine pour rejoindre une des nombreuses criques désertes. Parfois, une gorge se creuse en canyon spectaculaire comme à Gjipere.

Le terrain d’aventure est immense depuis l’ouverture des zones militaires. Comme la péninsule de Kuma ou l’île de Sazan. Dix kilomètres carrés de maquis vert sombre et de rocaille éblouissante sous le soleil. Truffée de grottes et de tunnels, terrestres et sous-marins, Sazan abrite aussi de nombreuses constructions de toutes les époques. L’ensemble le plus ancien est le port grec où Jason et sa bande d’argonautes auraient débarqué avec la toison d’or.

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«L’île a toujours été une citadelle gardant le canal d’Otrante» m’explique Yannis le gardien des lieux. A une demi-heure de bateau de Corfou, « c’est le passage obligé entre la mer adriatique et la mer ionienne ». Elle a connu toutes les guerres depuis l’occupation vénitienne au XIV ème siècle, jusqu’à la guerre froide. Elle fut le repaire d’illustres pirates avant de devenir une immense base ultra-secrète verrouillée par les troupes soviétiques et albanaises.

Sur le continent, les paysages bucoliques conservent le charme des ambiances gréco-méditerranéenne d’antan. Certains sites archéologiques exceptionnels attendent, dans leur jus, d’être redécouverts et mis en valeur.

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Appolonia, fondée par les Corinthiens il y a plus de 2.500 ans, fut longtemps une des grandes cités de l’Antiquité, quand l’Albanie s’appelait alors Illyrie. Aristote s’émerveilla de son architecture sophistiquée et de son port où plus d’une centaine de navires pouvaient mouiller. Pyrrhus en fut le maître avant que les romains ne l’en chassent. Auguste, le dernier empereur, y fit ses classes. Cicéron la magnifia, jusqu’à ce tremblement de terre qui dévia le cour de la rivière Vjosa, transformant le site en marais insalubre. Les fièvres chassèrent les derniers habitants.

Appolonia est restée un site ouvert et naturel. On vient y fêter un mariage, une promotion ou simplement pique niquer. Aujourd’hui, Alba, bustier lamé or sur des talons de dix centimètres, piétine le gazon qui mène à l’amphithéâtre. A quelques mètres, Xi, son cousin, joue au foot entre deux colonnes tandis que le reste de la famille surveille le barbecue qui fume sous les linteaux du grand portique. Ça chante et ça boit, ça rêve sur une couverture posée à même des buissons de thym… Annie, l’archéologue qui étudie les lieux, ne s’émeut guère de ce mélange des genres.

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«C’est encore pire à Butrint» une autre ancienne colonie antique, préservée quelques kilomètres plus au sud. Elle fut cité grecque puis romaine, place-forte byzantine, connut l’occupation vénitienne au XIV ème siècle avant de se vider de ses habitants décimés par la malaria. Le lieu est magique, isolé entre la mer et sa lagune.

D’innombrables vestiges, protégés par la boue et la végétation, racontent deux mille ans d’histoire avec ce théâtre grec pouvant accueillir 1.500 spectateurs, la basilique paléochrétienne, les bains romains, les mosaïques byzantines…

Pour le moment, on y flâne encore sans contraintes, et la baie de Xhoma, si belle avec ses eaux turquoises et ses rivages préservés, échappe toujours aux promoteurs.

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