Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Quand Mike Tyson se confesse…

publié le 02/04/2010 | par benoit Heimermann

Tyson est né le 30 juin 1966 à Brooklyn (New York). A 20 ans, il est devenu le plus jeune champion du monde de l’histoire en battant le Canadien Trevor Berbick par K.O. à la 2è reprise. Un titre qu’il conservera jusqu’en 1996. Au total, Tyson a disputé 58 combats (50 victoires, dont 44 K.O. ; 6 défaites et 2 nuls). En 1992, il est condamné pour viol et sortira de prison en 1995. Battu par Evander Holyfield en 1996, il mordra à l’oreille ce même adversaire, un an plus tard, lors du match revanche. A disputé son dernier combat en 2005 (défaite face à Kevin McBride).



Six jours durant, via New York, Los Angeles et Las Vegas, Mike Tyson a joué les filles de l’air. Imprévisible et insaisissable. Pressé d’assister à l’enterrement d’un ancien garde du corps dans un premier temps, désemparé au sortir d’une nuit d’excès dans un second. Le rendez-vous initial a été reporté à quatre reprises. Au final, dans une résidence anonyme perdue au milieu du désert, affalé dans un canapé en sky, tout de noir vêtu, face à un écran plat resté allumé, une biographie d’Al Capone négligemment abandonnée sur une table basse, il s’est confié. Mi-concentré, mi-fatigué.

A 43 ans, 5 ans après avoir arrêté la boxe, est-ce que Mike Tyson a toujours des projets ?

Je n’ai qu’une ambition : être une personne honorable. Le problème c’est qu’il faut trouver un minimum d’argent pour assurer le bien être de sa famille. Tout le monde sait ça. J’ai des enfants, ici à Las Vegas, mais aussi à New York et dans le Maryland. Les deux plus grands vont au collège. Alors je dois faire des compromis. Au mieux, je fais un film ou je prépare un livre, au pire, je cautionne un jeu vidéo [“ Fight Night Round 4 ”] ou je fais une apparition dans une comédie [“ The Hangover ”].

Pourquoi avez-vous accepté la proposition de James Toback de réaliser un documentaire sur votre vie (1) ?

J’étais à Los Angeles lorsque James est venu me voir. Nous nous connaissons depuis des années. Il m’a fait jouer dans plusieurs de ses films. Il venait de perdre sa mère et je n’avais rien à faire. En fait, je suivais un programme de désintoxication pour me débarrasser de ma dépendance de la coke. Ce film, je l’ai considéré comme une bouée de sauvetage. Qui plus est, il pouvait me rapporter quelques dollars. Peut être 50 000. Je ne me rendais pas bien compte. J’ai dit : “ Faisons quelque chose de positif. Qui me motive un peu. ” J’étais vraiment bas à ce moment là.

Quel a été votre réaction lors du premier visionnage ?

J’ai trouvé ça triste et pathétique. Je n’ai pas aimé le gars que j’ai vu sur l’écran. Il est impulsif et imprévisible. Il jure sans arrêt. Mais j’ose croire que c’est l’ancien Tyson.

Qu’est ce qui vous a choqué le plus ?

J’ai détesté me voir pleurer. Le problème, c’est que tout le monde me répète que c’est l’un des meilleurs moments du film. De toute façon, je ne comprends pas pourquoi ce documentaire suscite tant de réactions positives. Tout ça est assez malsain. Je ne veux plus le voir. Jamais.

Ce film a un mérite : il replace votre carrière dans son contexte. Vos origines expliquent beaucoup de choses…

Moi et ma famille, nous habitions dans un immeuble à moitié défoncé et plein de rats. Qu’on le veuille ou non, dans des circonstances pareilles, c’est la loi de la jungle qui prime. D’ailleurs je devrais être mort. Et c’est un miracle si j’ai dépassé le cap de l’adolescence. J’aurais du finir dans un caniveau. Ou pire encore. On peut toujours porter un jugement sur quelqu’un. Le féliciter ou le condamner. Mais, même en empruntant ses chaussures, on ne peut imaginer le chemin qu’il a parcouru. C’est beaucoup plus compliqué que cela.

Il est difficile d’imaginer que, gamin, vous étiez effrayé à l’idée de vous battre…

J’étais maigrichon, mal foutu. Toujours malade. Je respirais avec difficulté. Je passais mon temps à l’hôpital. Et autour de moi, il n’y avait que des mecs costauds qui n’avaient peur de rien. J’avais les jetons. Vraiment. Il ne suffit pas d’avoir des muscles pour être fort, il faut être sûr de soi. Parfois un événement suffit à vous transformer. Une raclée plus sévère que les autres ou une injustice. Du coup votre cerveau se met à évaluer les risques autrement. Il vous pousse au-delà de la limite.

Qui était vraiment Bobby Stewart, votre tout premier éducateur ?

Simplement un mec bien. Il est passé pro, mais il s’est vite tourné vers les gosses en difficulté. Ceux qui, comme moi, passaient leur temps en maison de correction. A Tryon, je voyais des gamins le nez en sang et les cotes en feu qui revenaient de son cours et qui semblaient prendre du plaisir à ça. Moi je jouais plutôt au foot. On a parlé. Il m’a proposé de suivre son programme. Au bout de quelques jours, il m’a labouré l’estomac. Je souffrais l’enfer. A en crever. A tel point que le personnel du centre paniquait. Ca m’a rappelé les soirs de castagne à Brooklyn. J’ai insisté, je l’ai revu. Je lui ai surtout demandé : “ Tu peux m’expliquer comment éviter pareille punition ? ” Il m’a dit : “ T’inquiète pas, d’ici quelques mois tu pourras rentrer chez toi sans craindre de prendre une dérouillée. ” C’est Bobby qui m’a conseillé d’aller voir Cus D’Amato, mon futur coach. Sans lui, rien ne se serait passé.

Il semble que, de son côté, D’Amato vous ait recommandé de devenir un guerrier avant même de devenir un athlète…

Pour D’Amato la boxe c’était d’abord  une affaire de mental. Il n’avait pas son pareil pour faire monter la sauce. Cus et moi nous étions deux mégalos. Sans cesse on discutait. On regardait des anciennes vidéos et je lui demandais : “ Qu’est ce que je dois faire pour battre ce type là ? ” Ses arguments étaient toujours les mêmes. Il me parlait de mon cerveau plus que de mes muscles. De ma psychologie plus que de mon style. Il ne cessait de me rabâcher : “ Concentre-toi, concentre-toi. ” Et moi, j’oubliais tout. Jusqu’à m’oublier moi-même. Je devenais la force à l’état brut. Je me disais : “ Je vais mourir pour obtenir ça. ” Ou bien : “ Je vais consacrer ma vie entière pour arriver là. ” Mieux, je me persuadais : “ Je vais devenir le champion que personne n’oubliera jamais jusque dans les coins les plus reculés de la planète. ”

Dans le film, vous poussez le bouchon plus loin et dites : “ D’Amato m’a lavé le cerveau. ”…

Quand vous avez 13 ou 14 ans et que l’on vous répète tous les matins : “ Tu vas être champion du monde ”. Tu finis par t’en persuader. Cus n’avait de cesse que d’exciter mon ego. S’entraîner avec lui c’était comme un trip. Un voyage dans l’inconscient. C’était comme une drogue. Il contrôlait mon esprit. Avec le recul, je me dis que cette manipulation était un peu effrayante. Mais le fait est que ça marchait. Je crois que Cus prenait du plaisir à me dominer. Pourquoi me serais-je plaint ? Les résultats étaient là. Un jour, il m’a offert une encyclopédie de la boxe. C’était une autre manière de m’inscrire dans une lignée. De me faire comprendre qu’après Demsey, Marciano ou Ali mon heure viendrait.

Certains pensent que le pouvoir de D’Amato était tel qu’il était capable de vous rendre fou…

La boxe n’a rien à voir avec la folie. Mais avec le contrôle de soi et la discipline.

Au milieu du film vous avouez portant : “ Ma déraison était devenue ma seule raison ”…

Toute ma vie a été un paradoxe. Je n’ai pas grandi au bon endroit. Lorsque quelqu’un est tué, la logique veut que l’on appelle les flics. Dans mon quartier, le premier réflexe des proches du mort était plutôt de se venger sur quelqu’un d’autre. Et quand je suis devenu adulte, j’ai pénétré un monde tout aussi déraisonnable où rien n’était réel. J’achetais des voitures comme d’autres achètent des bombons. Je collectionnais les femmes. Difficile de garder la tête froide dans ces circonstances là.

Si vous étiez programmé pour gagner, vous ne l’étiez pas pour perdre. D’où certains débordements…

Ernest Hemingway est un fasciste, un raciste, mais il a parfaitement raison lorsqu’il affirme que “ l’homme n’est pas fait pour être battu, seulement pour mourir. ” J’adhère à 100 %.

Est-ce que le nœud du problème n’est pas que vous êtes devenu champion du monde trop jeune ?

(fermement) Si vous voulez assister à quelque chose de tragique, c’est simple : choisissez un gosse de 19-20 ans et donnez-lui 50 millions de dollars !

Quel est le boxeur de l’histoire qui vous a le plus impressionné ?

Jack Johnson (2). Non pas que je l’apprécie en tant que personne. Il fut, sans doute, trop fantaisiste et trop dilettante. Mais la manière dont il s’est imposé contre le cours de l’histoire – il fut le premier champion noir – m’impressionne beaucoup. Tout le monde était contre lui, les arbitres y compris. C’est lui qui a tordu le cou au mythe de “ l’oncle Tom ”, celui du bon noir qui s’accommode si bien avec les blancs. Et il a fait ça avec beaucoup d’humilité.

Précisément, il y a quelques semaines, John McKay, candidat à la Maison Blanche, a demandé à Barack Obama de réhabiliter Jack Johnson. Une bonne requête ?

Il est bien tard. Johnson n’à que faire de ses droits civiques aujourd’hui. Tout ça sent la récupération. La volonté de séduire la communauté noire. Les politiques n’en ratent pas une. En France, ils ont tressé des couronnes à Marcel Cerdan et pourtant Cerdan était plus marocain qu’il n’était français.

Vos années de prison ont été un cauchemar, mais parallèlement elle vous ont permis de devenir une autre personne. Souffrir avant de changer : c’est la règle d’or ?

Pas pour tout le monde. Un grand philosophe grec a dit : “ l’épreuve rend les plus forts encore plus forts, mais les plus faibles encore plus faibles. ” Et je crois qu’il a raison.

Vous lisez toujours autant ?

Beaucoup moins. Je passe mon temps devant la télévision, ce qui n’est pas bien. J’ai surtout lu en prison. Lorsque je suis rentré chez moi on m’a fait suivre vingt ou trente cartons pleins de livres et je me suis dit : “ je n’arrive pas à croire que mon cerveau soit parvenu à ingurgiter tout ça. ”

Ces livres vous ont aidé ?

Ils m’ont aussi beaucoup troublé. Les points de vue sont tellement contradictoires. Prenez Voltaire. Il est pessimisme de nature et, dans le même temps, il a toujours trouvé les ressources pour s’attaquer aux institutions. Avec sa façon de toujours se tenir en retrait, Gandhi m’a beaucoup déconcerté aussi…

Quel est votre livre de chevet ?

Si je dis le “ Prince ” de Machiavel on va encore me traiter de fou. Mais il ne faut pas confondre l’homme et son œuvre. Les philosophes français détestaient Machiavel. Ses théories étaient peut être malsaines, mais lui-même était vraiment cool ! C’était un fin politique. Rationnel et conséquent.

Avez vous vu “ The Wresler ”, le film où Mickey Rourke interprète un catcheur en fin de carrière qui éprouve toutes les difficultés du monde à raccrocher ?

C’est stimulant. Mais ce que je voulais surtout c’est que Mickey remporte l’Oscar. Lui aussi est descendu bas et il a su remonter. Cela mérite bien quelques applaudissements.

Vous-même avez vous éprouvé des difficultés à tourner la page ?

Les dernières années je n’ai boxé que pour l’argent et ça m’écœurait. Après avoir raccroché, je suis devenu léthargique. Amorphe. Je m’ennuyais un max. Je n’avais pas programmé l’ “ après ”. J’ai toujours voulu être un boxeur ou, au moins divertir les gens. Quand vous ne pouvez plus tenir ce rôle, vous êtes comme mort.

Est-ce que vous faite encore de l’exercice ?

Non. Je suis gras. Je n’ai plus de souffle. C’est une honte.

Dans le film de Toback votre voix fait souvent écho, comme si, au fond de vous, une autre personne pensait et réfléchissait. A quoi rêve Mike Tyson ?

Certains envies trottent dans ma tête comme des rengaines. J’aimerais par exemple que ma mère soit vivante. J’aimerais lui montrer les épreuves que j’ai traversées. Ce que je suis devenu. J’ai fait des conneries mais j’ai fait aussi des choses estimables. Je suis devenu célèbre. J’ai aussi gagné pas mal d’argent. J’aurais aimé que ma mère en profite. A 14-15 ans j’ai disputé un tournoi local. J’ai gagné plusieurs combats. Et j’ai eu ma photo dans le journal avec un petit texte. J’ai montré tout ça à ma mère. J’ai dis : “ Regarde maman, je vais devenir champion du monde. ” Elle m’a regardé. Et parce que je l’avais déçu déjà tellement de fois, elle sait contenté de dire : “ Je lirai ça un de ces jours. Laisse moi faire à manger. ” Peut être pensait-elle que j’avais inventé tout ça.

Si tout était à refaire ?

Je changerais les avocats, agents et conseillers qui ont été les miens durant ma carrière. Une cohorte de bandits et d’incompétents. J’ai bouleversé le monde de la boxe. J’ai affolé les indices télé. J’ai engraissé les annonceurs. Et cette bande d’incapables s’est contentée de développer son petit commerce digne des esclavagistes des siècles passés à une époque où la main d’œuvre s’achetait sur le marché au prix de la viande morte.

Vous regardez encore des matches de boxe ?

La catégorie des lourds pose problème. On s’ennuie ferme. Valuev est ridicule. Les frères Klitschko sont peut être méritants, mais ils manquent de flamme. Mes combats étaient peut être courts mais ils étaient intenses. La montée d’adrénaline valait pour moi mais aussi pour ceux qui me regardaient.

Dans la bande annonce du film vous récitez un poème d’Oscar Wilde. Pourquoi ?

C’est une idée de Toback. Je n’y accorde pas plus d’importance que ça. Mais vous savez qui était l’amant d’Oscar Wilde ? Le fils du marquis de Queensberry celui qui a codifié la boxe moderne. Le noble art.

Par Benoît Heimermann, L’Equipe Magazine.

(1) “ Tyson ” diffusé sur Sport + le X. Bientôt en salle.
(2) Né en 1878, mort en 1946. Champion du monde des poids lourds entre 1908 et 1915. Destitué de ses droits civiques parce qu’il avait osé fréquenter une femme blanche.
(3) Né en 1943, mort en 1993. Vainqueur de trois tournois du Grand Chelem.


L'Equipe-MagazineTOUS DROITS RESERVES