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 » Saddam Hussein: le procès que vous ne verrez pas ».

publié le 13/09/2006 | par Jean-Paul Mari

Peut-on faire le procès de Saddam Hussein, du régime et de ses crimes, sans parler de la complicité de ses alliés occidentaux, en clair, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ? Sur le fond, ce documentaire pose une question simple et forte. Sur la forme, ce film, – une rediffusion -, laisse un sentiment de frustration. Les témoignages et les images tournés à Bagdad remontent au printemps 2004, voilà un an et demi. Le document montre des images rares et brutales d’Irakiens battus à coups de chaînes jusqu’à l’évanouissement, puis l’exécution d’un opposant, à l’aide d’un pain d’explosif. D’où viennent ces scènes terribles ? On aimerait en savoir plus. Les personnages sont parfois campés à la hâte, comme cet homme à Bagad qui a collecté « trois millions d’archives » pour constituer un embryon de « Musée de la mémoire ». Ou cet « ingénieur irakien » , intéressant par ailleurs, qui exige le procès des « gouvernements complices de Saddam ».
Le talent des auteurs, Michel Despratx et Barry Lando, n’est pas en cause, témoin la remarquable enquête qu’ils ont signé dans le numéro de novembre 2004 du Monde Diplomatique. Le propos était identique : examiner les vingt cinq dernières années de l’histoire irakienne, guerres, crises politiques et répression, pour démontrer que Saddam Hussein, dictateur aux mains couvertes de sang, n’aurait pu survivre sans le soutien actif de ses alliés occidentaux. Les grandes puissances, soucieuses d’assurer leur approvisionnement en pétrole, préféraient un régime irakien – « certes un peu brutal »-, mais tellement stable ; les marchands d’armes courtisaient l’Irak de Saddam Hussein, en guerre perpétuelle, pays avide de technologie nucléaire, de « Mirages » ou de gaz de combat; l’Occident, enfin, fermait les yeux sur la barbarie des uns, obsédé par la peur de la contagion de l’autre, Khomeyni et sa révolution islamiste. Dans ce monde de la realpolitik, l’intérêt des états passe avant celui des populations. Jusqu’au moment où le Saddam Hussein passe les bornes, veut s’emparer des réserves de pétrole du Koweït, défie ses anciens amis et se croît inattaquable. On connaît la suite.
Oui, l’enquête est passionnante et ambitieuse. Et elle souffre d’être à l’étroit, même en acceptant la loi du raccourci télévisé, dans un espace de quarante-trois minutes. Les cinq grands chapitres abordés méritaient davantage. Les voici :

1/ « 1980, guerre contre l’Iran ».

Dix ans d’une guerre de tranchées, « un million de morts » et deux pays exsangues. Quand Saddam déclenche la guerre contre son voisin iranien, il reçoit le feu vert de l’Amérique. Le film rappelle que le Pentagone participe alors à l’établissement du plan de guerre de l’armée irakienne, offre ses satellites d’observation, désigne les cibles à frapper et fournit Bagdad en bombes à fragmentation. Tout en sachant que l’armée irakienne utilise des gaz de combat sur le champ de bataille.

2/ « 1988, Gazage de Halabja ».

L’aviation irakienne largue des bombes silencieuses, à basse altitude, sur un village kurde que Bagdad soupçonne de collaborer avec les Iraniens. Après leur passage, les rues d’Halabja sont couvertes des corps d’hommes, de femmes et d’enfants, sans blessures apparentes mais les lèvres bleuies. Cinq mille civils sont morts. Aussitôt, les USA protègent Saddam en accusant Téhéran du crime. La France, elle, condamne l’agression mais « oublie » de citer l’agresseur, l’Irak. Gaz moutarde ou neurotoxiques…l’enquête établira que les substances mortelles proviennent d’Allemagne ou sont fabriqués sur place dans des usines équipées par la France et l’Amérique.

3/ « 1990, Invasion du Koweït ».

Le film rappelle la célèbre rencontre, à la veille de la guerre, entre April Glaspie, ambassadrice américaine en Irak et Saddam Hussein. La diplomate assure au dictateur que les États-Unis ne prendront « aucune position sur un conflit de frontières entre l’Irak et le Koweït ». Saddam interprète ce message comme un feu vert à l’invasion de son voisin. Plus tard, un élu du Congrès américain dénoncera « une attitude obséquieuse envers Saddam Hussein qui l’a encouragé à entrer au Koweït. »

4/« 1991, Massacre des Chiites. »

Saddam, battu, affaibli, vient de perdre la guerre du Golfe. Le président Bush appelle le peuple irakien à l’insurrection. Il est entendu. A l’heure de la répression, quand les tanks et les hélicoptères de la Garde Républicaine de Saddam massacrent deux cent mille chiites insurgés, Washington laisse faire. Mieux, l’armée américaine reçoit l’ordre de détruire les stocks d’armes dont les insurgés ont tant besoin puis de stopper leur progression vers la capitale. Au Nord, la non-intervention américaine entraînera l’exil tragique du peuple kurde.

5/ 1990-2003, Embargo meurtrier. »

Pour faire pression sur le dictateur, l’aviation américaine détruit le système d’approvisionnement irakien en eau potable et l’embargo de l’ONU interdit l’importation de produits d’assainissement et de médicaments. Bilan : autour de 500 000 morts civils irakiens, dont beaucoup d’enfants emportés par la typhoïde, les diarrhées et la malnutrition. Malgré l’embargo, Saddam, lui, reste debout ! Pour assister à la chute du tyran, il faudra attendre l’occupation armée de son pays. Par les Américains et les Britanniques, ses anciens alliés.

Jean-Paul Mari


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