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Syrie : Le régime accusé d’attaques chimiques

publié le 18/01/2016 | par Luc Mathieu

Des civils pris dans un nuage de poussière lors d’un bombardement attribué au régime, le 25 avril à Jisr al-Chougour, près d’Idlib. Photo Ammar Abdullah. Reuters

Gaz

C’est un diagramme qui figure dans un rapport publié le 29 octobre par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Il décrit les munitions utilisées lors d’attaques suspectes, très probablement au chlore, dans le nord de la Syrie au printemps dernier. Le schéma est précis. En trois dimensions et en couleur, il montre comment des bonbonnes cylindriques remplies de chlore ou d’un produit à base de chlorure ont été placées à l’intérieur d’un baril. On voit aussi les détonateurs et les câbles qui les relient. Il y a même des roues, fixées à l’avant et à l’arrière de l’engin explosif, qui permettent de le larguer depuis l’arrière d’un hélicoptère.

Ce diagramme n’est pas que technique et détaillé. Il constitue, selon plusieurs ONG et experts interrogés par Libération, une preuve «officielle», établie par une instance internationale, que le régime de Bachar al-Assad a continué à utiliser des armes chimiques malgré ses engagements de 2013. «Aucun groupe rebelle en Syrie ne dispose d’hélicoptère. Donc, oui, pour la première fois, une organisation reconnue par l’ONU, où sont représentés plus de 190 États, démontre directement la violation par le régime syrien de la convention sur les armes chimiques.

C’est du 100 %», affirme Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ONG Human Rights Watch (HRW). «Disons que l’on est au-delà du plausible. Si ce n’est pas le régime syrien qui est responsable, c’est son armée», estime, sous condition d’anonymat, le représentant d’un pays membre de l’OIAC.

«Gaz jaune»

Dans son rapport, l’OIAC ne pointe aucune responsabilité. Ce n’est pas le rôle de sa mission «d’établissement des faits», créée en avril 2014. Ses enquêteurs ont travaillé sur une série d’attaques suspectes intervenues en mars et mai 2015 dans la province d’Idlib, dans le nord-ouest syrien. Ils ont documenté onze incidents, dans les villes d’Idlib, Binnish, Kurin, Qmenas, Saraqib, Al-Nerab et Sarmin. Ils n’ont pas pu se rendre sur les lieux mais ont interrogé des témoins, récupéré des échantillons et des fragments des engins explosifs, examiné photos et vidéos.

Ces attaques avaient déjà été décrites par des activistes, médecins et journalistes syriens. Six d’entre elles ont également fait l’objet d’une enquête de HRW. Au regard de la tragédie syrienne, le nombre de victimes est relativement limité : six morts et environ 200 blessés. L’objectif des attaques chimiques n’est pas tant de tuer que de terroriser.

D’après HRW, la ville d’Idlib a été visée à moins deux reprises le 31 mars. Cinq jours plus tôt, les forces du régime en avaient été chassées par l’Armée de la conquête, une coalition qui regroupe les salafistes d’Ahrar al-Sham, les jihadistes du Front al-Nusra – branche syrienne d’Al Qaeda – et d’autres groupes, pour certains issus de l’Armée syrienne libre. Des témoins interrogés par HRW racontent cette fumée jaune, cette sensation de brûlure au niveau des yeux, les difficultés à respirer, les vomissements.

Un journaliste syrien décrit ce «gaz jaune qui s’échappe d’une bonbonne métallique». Des photos montrent aussi des fragments de barils. Dans son rapport, l’ONG ne conclut pas formellement à l’utilisation de chlore, mais rappelle que plusieurs témoins ont senti son odeur caractéristique. Elle dénonce «les autorités syriennes qui semblent une fois de plus avoir fait montre du plus grand mépris quant aux souffrances humaines en violant l’interdiction de la guerre chimique».

L’OIAC ne va pas aussi loin. Dans ses conclusions, publiées par le blog The Trench de Jean Pascal Zanders, expert reconnu des armes chimiques, elle note que «suffisamment de faits recueillis permettent de conclure à l’utilisation comme arme d’un produit chimique toxique. Les preuves ne sont pas suffisantes pour identifier de manière définitive la substance chimique, même s’il est probable qu’elle contienne du chlore.»

Ces conclusions prudentes ont été présentées aux Etats membres lors d’une réunion qui s’est tenue début novembre à La Haye (Pays-Bas). «Le régime syrien continue d’utiliser des armes chimiques contre son propre peuple», avait alors affirmé Rafael Foley, le représentant des Etats-Unis. L’ambassadeur français Laurent Pic avait, lui, assuré que les rapports de l’OIAC, ainsi que la présence d’hélicoptères, prouvaient «la poursuite d’une répression implacable, par tous les moyens, y compris les plus abominables, d’un régime criminel contre son propre peuple».

Sans surprise, la Syrie a démenti «catégoriquement» quelques jours plus tard avoir «jamais fait usage de chlore ni d’autres matières chimiques toxiques au cours de quelque opération que ce soit en Syrie depuis le début de la crise jusqu’à ce jour».

Arsenal

Ce n’est pourtant pas la première fois que le régime est accusé. Il est jugé responsable par les services de renseignement occidentaux d’une série d’attaques au gaz sarin le 21 août 2013. Environ 1 400 personnes avaient alors été tuées. Le franchissement de «la ligne rouge», définie par le président américain Barack Obama, avait failli provoquer des représailles militaires des Etats-Unis et de la France. Washington avait reculé au dernier moment après un vote du Congrès.

Damas avait néanmoins été contraint de signer la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et de détruire son arsenal, sous la supervision de l’OIAC. Depuis, 1 300 mètres cubes d’armes, dont du sarin et du gaz moutarde, ont été saisis. «Nous avons pu vérifier le démantèlement de onze installations. Il nous en reste une à inspecter, à proximité de Homs, mais elle n’est pas accessible en raison des combats», explique Ahmet Uzumcu, directeur général de l’OIAC.

Mais dès le printemps 2014, de nouvelles attaques se produisaient dans le nord de la Syrie. Chargée d’enquêter, l’OIAC avait conclu quelques mois plus tard que du chlore avait été utilisé de manière «systématique et répétée» contre plusieurs villes, toutes contrôlées par l’opposition. Mais, comme dans son dernier rapport, elle n’imputait pas la responsabilité des attaques. Dans le dédale du droit international, cette tâche revient à un autre groupe, le Joint Investigation Mecanism (JIM). Sa création a été décidée et actée par la résolution 2 235 du Conseil de sécurité en août. Ses membres appartiennent à l’OIAC et à l’ONU.

Les rapports des attaques dans le nord de la Syrie leur ont été transmis et les premières conclusions sont attendues en février. Mais elles ne seront, selon toute vraisemblance, que préliminaires. «Vu la sensibilité du sujet, on s’attend à ce que le JIM commence par exposer ses méthodes de travail pour montrer son professionnalisme et son indépendance, estime le représentant d’un pays membre de l’OIAC.Je ne pense pas qu’il dira dès février que le régime syrien est responsable.» Le mandat, reconductible, des enquêteurs du JIM dure un an. S’ils venaient à établir la responsabilité du régime syrien, ce serait au Conseil de sécurité de prendre, ou non, des sanctions, voire de saisir la Cour pénale internationale.
Vers une issue négociée ?

Les grandes puissances se sont retrouvées vendredi à New York en quête d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Syrie, qui entérine un ambitieux plan américano-russe pour un cessez-le-feu et un règlement politique. La feuille de route établie à Vienne le 14 novembre prévoit une rencontre à compter du 1er janvier entre représentants de l’opposition et du régime de Damas, un gouvernement de transition dans les six mois, des élections dans les dix-huit mois et un projet de cessez-le-feu. Mais le sort du président Bachar al-Assad demeure l’obstacle majeur à une sortie de crise. John Kerry a assuré mardi au président russe Vladimir Poutine, allié de Damas, que Washington «ne cherchait pas de changement de régime».

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