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Vietnam: « Ceux d’en face »!

publié le 05/09/2014 | par Jean-Paul Mari

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« Visa » leur a fait un triomphe. À la fin de la projection, il y a eu un silence respectueux, puis une explosion d’applaudissements. On a fait monter les quatre photographes vietnamiens sur scène. Ils sont arrivés, vieillards entre 75 et 85 ans aux cheveux blancs, à petits pas, modestes, leur appareil photo sur la poitrine, souriants et tout étonnés de se voir ovationner par ceux qu’ils avaient combattus et qui ont longtemps ignoré leur travail.

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C’était il y a quarante ans. Une guerre du Vietnam très médiatisée. Des photographes qui ont pu – pour la dernière fois – travailler en toute liberté. Et nous avons grandi en regardant ces images de Don Mc Cullin, Gilles Caton, Horst Faas et Henri Huet et d’autres. Le Vietnam, c’était cela. Oui, sauf que de l’autre côté de la ligne de front, nous ne connaissions pas ceux du Nord, «ceux d’en face».

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Eux travaillaient sous les bombes des B-52, ils étaient des soldats engagés en photographie, portant à la fois un révolver à la ceinture et un boitier à l’épaule. Pure propagande communiste ? Bien sûr. Sauf que…aujourd’hui, on regrette amèrement de ne pas avoir vu leurs images plus tôt. Bien sûr, il y a eu la publication en 2002 du magnifique livre du photographe américain Tim page, « Another War », qui contenait l’essentiel des photos prises au Nord. L’ouvrage, impressionnant, n’a pas échappé aux photojournalistes et aux historiens. Patrick Chauvel, photoreporter, a refait le chemin et entrainé « Visa » dans l’aventure. Et offert au grand public ce travail méconnu.

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Il fait chaud à Perpignan, même à l’intérieur du Couvent des Minimes dont le clair-obscur sied bien à l’exposition des photos. J’ai demandé à Alain Buu de venir avec moi voir l’exposition « Ceux du Nord ». Alain est d’origine vietnamienne du Sud, un vieux copain de reportage et un professionnel talentueux qui expose à Visa son travail sur l’eau du Gange, fleuve sacré pur et crasseux. J’ai envie de voir ces images du Nord-Vietnam aussi par ses yeux. Quatre vénérables photographes exposent : Doan Công Tinh, Chi Chi Thành, Maï Nam et Hua Kiem. Dong Công Tinh est le plus guerrier. Et ses images laissent pantois.

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Il est là, à 72 ans, sec et lucide, habillé à la ville avec chemise blanche, pantalon sage, petits mocassins, l’exacte réplique civile de l’uniforme de Bodoï qu’il a porté pendant toute la guerre. Le jeune vieillard affecte un air sage mais ses yeux révèlent une incroyable détermination. Dong Công Tinh a perdu 70 journalistes dans son unité, dont un de ses meilleurs copains dans l’offensive de Quang Tri, près de Hué:
– « On ne voyait jamais les B-52 qui nous bombardaient. J’ai été trois fois enterré par leurs bombes », dit le survivant.
Trois fois enseveli sous la terre.
Trois fois ressuscité.

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A 27 ans, il couvrait le front pour le journal de « L’Armée du Peuple », mettait des jours pour se rendre à pied ou en camion-stop vers la ligne de front, restait six mois sur le terrain et travaillait avec un antique appareil russe « Kiev » puis avec un « Praktica », pas si pratique, avec son objectif fixe unique de 50 mm. Il vivait en soldat parmi les soldats, les a suivi quand ils escaladaient les montagnes, cherchait des passages au milieu des rapides – sa meilleure photo- dormait, mangeait à même le sol jusqu’à cette offensive victorieuse contre la citadelle de Quang Tri.

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Ces photographes-là rapportaient eux-mêmes les films à la rédaction. Et quand le danger était proche, ils les développaienten chemin – un trou dans la terre pour le révélateur, un autre pour le fixateur, et l’eau de pluie pour tout rincer – et serraient leur travail dans une sacoche avec des instructions et leur testament. Au cas où.

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De ses compagnons, ils gardent le souvenir de soldats très durs au combat, mais qui, une fois l’assaut terminé, souriaient tout le temps. Des hommes, des femmes, jeunes, lourdement armés, mais en sandales, qui enduraient, mouraient et ne se plaignaient jamais. Comme cette icône de l’exposition, une chef de milice, fusil d’assaut à l’épaule, jeune femme gracile qui a survécu à… 883 raids aériens.

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Et les autres, ceux d’en face, côté sud. Dong Công Tinh hausse un sourcil prudent. Il n’a jamais vu des Gi’s américains. Pour lui, c’étaient des « mercenaires payés pour venir plonger le pays dans le chaos ». Il n’a pas un grand respect pour ces soldats, « médiocres combattants dotés d’un matériel énorme qui s’ouvraient les routes à coups de bombes. » Et il a été sidéré de voir, sur les photos de presse, des « soldats américains, blessés, qui criaient et pleuraient ! »

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Restent les Vietnamiens du Sud, autrefois ses ennemis. Seul la vaillance au combat de certaines unités de paras ou de rangers trouvait grâce aux yeux des Bodoï. Quant aux photographes vietnamiens, le vénérable vieillard sourit avec malice en disant qu’ils « n’étaient pas prêts à échanger une vie contre une bonne photo».

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Au Vietnam, Dong Công Tinh n’a pas connu la gloire mais ses images à lui sont restées, comme des icônes ignorées du reste du monde. Pendant quarante ans, le monde n’a connu de cette guerre que le regard des photographes occidentaux. Aujourd’hui, dans ce Couvent des minimes, les journalistes, le public et les jeunes photographes le pressent de question. Et le Vietnamien bat des paupières devant cette curiosité qu’il ne soupçonnait pas :
– « Longtemps, j’ai été profondément triste de ne voir publier que des clichés étrangers. Aujourd’hui, les gens d’ici regardent nos images. Quel soulagement ! »

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Alain Buu, les yeux mouillés, arrête de traduire et fait mine de chercher un mot inconnu dans son dictionnaire. On refait le tour de l’exposition, en silence. À la sortie, sous le coup, il souffle :
– « Ce sont des soldats qui ont pris le chemin de la guerre. Oui, des guerriers. Et surtout de grands, de très grands photographes! »

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Voir aussi:

– Centrafrique: « Ils nous mettent mal à l’aise ».

– « Visa »: les murs ont des yeux.

Avertissement: les photos publiées dans ce carnet sont de simples étiquettes indicatives, prises à la volée, comme par l’oeil d’un visiteur. Elles ne représentent en rien la qualité artistique des images exposées avec art dans les différents musées et salles de « Visa » à Perpignan.


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