Explosif: la Feria de Pampelune
La page taurine de Jacques Durand (Editions Atelier Baie)
Belle lurette qu’on ne voit plus le chauve
Julen Madina courir entre les cornes d’un toro à l’entrée des arènes. Il a un mot du docteur ? Oui un
avis de décès. Dame, il est mort en août 2016, à 61 ans, du côté de San Sébastian et de la belle lurette. Un toro ? Non. L’océan.
Tabassé à mort par une grosse vague sur la plage de la Zurriola, sa tête a heurté violemment le fond ; traumatisme cervical il ne s’est jamais réveillé. On l’a retrouvé flottant sur l’eau, inconscient, la bouche ouverte. Mort à l’hôpital. Arrêt cardiaque. Les mythes boivent la tasse dans la mer ? Oui, Icare. Madina était mythique. Il était l’esprit de
l’encierro : mettre sa vie en jeu devant des toros pour rien. Il faisait partie de ceux que Pampelune appelait avec admiration pour les uns, ironie pour les autres, los divinos pour leur façon canonique et ostentatoire de courir l’encierro dans les cornes avant d’aller manger des patatas, bravas elles aussi, à la casa Paco. Tables en bois, nappe à carreaux bleus et blancs. Une fois l’Icare chauve est monté trop près du soleil.
Le soleil était noir, il s’appelait Trigueño, c’était un toro de Jandilla qui, en juillet 2004, lui a mis cinq coups de corne. Deux dans les fesses, deux dans les jambes, un au poignet. Un corps en perce lui qui était massif, en béton, judoka et professeur d’éducation physique.
Remis miraculeusement de ses blessures, il reviendra courir l’année suivante comme il l’avait promis à la mairesse de Pampelune et un toro, toujours de Jandilla, l’aplatira comme une figue entre la Casa Flores, ragoûts, tripes, calamars et José coiffeur pour hommes, coupe militaire, coupe gentleman, ouverture à 9 heures.
Les Jandilla ont de la suite dans les idées. Il avait un sixième anneau à ses oreilles. Il en met un chaque fois qu’un toro le tue. Il avait décidé en 2012 de ne plus courir à Pampelune mais continuait de le faire à San
Sébastian de Los Reyes ou Tudela où un mois avant sa mort le toro Novato lui avait mis une rouste et donné un avertissement. Attention à ta tête : contusion cervicale. L’océan a fini le boulot. Novato quoique appartenant à la ganaderia Las Monjas (Les Bonnes Sœurs), n’était pas charitable mais semblait prédire l’avenir.
Selon le journaliste également coureur à Pamplona, Chapu Apaolaza, Madina, son crâne chauve, sa moustache, était, à cause des encierros télévisés et de sa présence athlétique, écrasante, plein écran, au plus près des cornes en fin de parcours, là où c’est le plus dangereux, connu jusqu’à Melbourne.
Les télévisions américaines, japonaises, australiennes etc. interviewaient sur l’encierro et les raisons de cette déraison ce type athlétique, cette « machine », cet « estafetator » à tenue blanche et foulard rouge et de 8 heures du matin entre le 7 et le 14.
Le divin chauve leur répondait : « dans une société qui veut contrôler ce que je bois et ce que je fume je demande seulement qu’on me laisse avoir des émotions qui me laissent me sentir vivant. »
Madina était aussi détesté par d’autres coureurs. Ils lui reprochaient de, avec son physique, jouer des coudes pour rentrer à la tête des toros pour y être seul, pour ne pas les partager, ce que font certains qui courent l’un sur une corne et l’autre sur l’autre. On le querellait de ne pas être pampelonnais et pire de ne pas être navarrais.
Il était d’Hernani près de San Sébastian. Un coureur venait même avant les encierros l’avertir qu’il essayerait de le faire tomber pendant. Le jour où le Jandilla lui a mis les cinq coups de corne, une pancarte est apparue lors de la corrida dans le soleil : Jandilla 5 Madina 0.
Comme les mythes sont malins Madina a su par la suite, tirer profit de sa réputation de corredor. Il a donné des cours pour expliquer comment courir l’encierro et quelles étaient ses vertus y compris, dans des teams building d’entreprises, pour les cadres qui veulent, afin de gagner l’attention du boss, s’imposer aux collègues dans les war rooms du shadow cabinet en jouant de pitchs percutants comme on gagne la tête des toros en écartant la concurrence.
Il s’est fait aussi engager comme commentateur dans des chaines de télévision basque et on l’a aperçu dans une télé réalité de ETB2 chaine basque. Titre du programme : El conquistador del fin del mundo. Ça lui allait au poil puisque l’encierro de Pampelune est effectivement un monde à part qui naît et meurt en deux minutes et quelques.
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Autre mythe local, si un mythe effectivement localisé peut-être local, Pedro Chaverri “El chico de Olite” (Le garçon d’Olite), “Chicolite” pour les intimes. Olite, à 42 kms au sud de Pamplona. Et ce surnom trouvé, quand il était novillero, par ses potes de la taverne La grotte enchantée, calle Manueta. Un coup de corne à Olite en avril 1958 lui laissera une jambe en mauvais état.
Alors, banderillero et doblador tous les matins entre le 7 et le 14 pendant 43 ans. Une plaque en bronze à son nom est apposée à droite de la grande porte des arènes de Pampelune là où rentrent les toros et les coureurs. Dessus : une cape de torero, les fers de ganaderias et une inscription : a Pedro Chaverri “Chico de Olite” doblador y torero. Ça pourrait être un pléonasme.
Un doblador, muni d’une cape, chargé, en piste, de faire entrer les toros récalcitrants ou d’intervenir si un coureur est en mauvaise posture est un torero. Un des sens du mot doblar : inciter – là un toro –, à changer de direction. Sauf que le doblador ne doit pas faire passer le toro, ne doit pas le tordre, doit le conduire en ligne droite sans se faire toucher la cape tenue d’une seule main.
Il est même le représentant du torero primitif, minimaliste, celui né en Navarre avec des bergers navarrais par exemple, qui intervenaient dans les toros avec un tissu, une veste, une étoffe tenus d’une main pour les conduire. Donc “El chico de Olite” intervenait aussi dans la corrida comme banderillero d’un torero. Il fut en particulier celui du plus fameux torero navarrais, Julian Marín mais aussi de Victoriano de la Serna, Pepe Bienvenida, Morenito de Valencia. Cependant c’est comme doblador qu’il a acquis sa mythique dimension de sauveur in extremis avec quasiment rien. La pointe d’une cape.
Il était l’idole des jeunes Pampelonnais qui voulaient devenir toreros et « l’amour platonique des mères de famille », dixit le blogueur pampelonnais Patxi Mendiburu qui avouait que la sienne propre « n’arrêtait pas de parler de lui ». Chico de Olite était grand, avec une allure de torero façon Manolete et, tous les matins, béret sur la tête, vêtu avec élégance avec une sorte de costume noir, une chemise sans cravate mais fermée au bouton du haut, des souliers cirés à mort.
Il conduisait les toros avec la punta de sa cape tenue d’une main et intervenait miraculeusement. Un ex-voto. Les Pampelonnaises l’arrêtaient dans la rue pour le remercier d’avoir sauvé d’une cornade ou pire un mari, un fils, un amant, un ami, un frère. Avec sa cape ou éventuellement, là en vain, à main nue.
Le 10 juillet 1935 on le verra attraper la queue d’un toro de Carmen de Federico qui avait encorné Gonzalo Bustindy qui mourra deux jours plus tard. C’est lui avec son capote qui, le 10 juillet 1947, fera entrer au toril le toro Semillero, de Urquijo, qui venait de tuer deux jeunes coureurs, Casimir Heredia, garçon boucher, et Julian Zabalza l’un calle Estafeta, l’autre à l’entrée de la piste.
El Chico de Olite, comme banderillero de Julian Marín participera plus tard au sorteo de la corrida. Une légende raconte que Manolete ayant tiré Semillero au sort le cédera, à sa demande, à Julian Marín qui aurait voulu « venger Heredia et Zabalza ». Faux. Semillero faisait partie du lot de Marín pas vraiment enchanté de l’avoir reçu.
El Chico de Olite le rassurera : « ne sois pas idiot. C’est un très bon toro. Quand je l’ai conduit d’une main avec ma cape vers le toril, il baissait bien la tête et faisait un sillon avec son mourre sur le sable. » À Semillero, 464 kilos, sorti en sixième position et très durement piqué, Marín lui coupera les deux oreilles et la queue.
Le critique taurin qui signait « Che » le verra comme le meilleur toro de la feria. « Quel toro ! Il n’en est pas sorti un plus suave, plus bravo et plus noble depuis longtemps ». El Chico de Olite continuera à conduire les toros de l’encierro avec une maximale élégance minimaliste jusqu’en 1977.
Il est décédé en janvier 1980 après 43 Sanfermines
et 301 encierros à faire des miracles. On l’a trouvé chez lui devant un verre de vin de la Rioja, son poste de radio allumé et tenant une revue taurine dans la main. El País a annoncé son décès et Camilo José Cela, futur prix Nobel de littérature lui a consacré un article dans ABC : « Les plaisanteries de la mort sont toujours mortelles et, ce qui est mauvais, ce n’est pas de se jouer la vie dans les encierros mais la perdre, sans le vouloir, dans un moment d’inattention sans plus d’importance que ça…
Il repose en paix l’homme qui, pendant des années, s’est moqué de la mort, cette renarde qui rit toujours à la fin sans que personne, jamais, n’ait réussi à l’éviter et à lui donner une larga cambiada. Chico de Olite, dans les veines de qui courait le coquet petit venin de la tauromachie, avait été péon dans la cuadrilla de Victoriano de la Serna, torero prestigieux. Avec lui disparaît un des derniers vestiges d’un temps révolu, ni meilleur ni pire – mais, oui, distinct – que celui venu après.
Chaque vie a son calendrier et ses soucis, et la couleur de la bonne chance peut soudain s’assombrir et tout envoyer rouler sur cette pente qui ne s’arrête jamais, jamais, jamais. S’il vous plaît. Pouvez-vous faire une place à un ami mort ? »
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