Toros: La corrida de Miguel de Unamuno
La page taurine de Jacques Durand
La corrida de Miguel de Unamuno
juin 1884. Le jeune, 20 ans, Miguel de Unamuno est dans le train de nuit Madrid-Bilbao. Il rentre chez lui. Le matin il vient de soutenir sa thèse Critique des problèmes sur l’origine et la préhistoire du peuple basque. Dans son compartiment, hasard, le fameux Luis Mazzantini. Il se rend à Bilbao pour, le 22, toréer une corrida. Les deux blaguent….
On ne sait pas ce qu’ils se sont dit. Une amitié s’installe. Unamuno avait des amis et des connaissances dans le monde des toros : l’éleveur Argimiro Perez Tabernero, le picador “Memento”, le novillero Rebonzito, les écrivains taurophiles Bergamín, Gomez de la Serna, Ortega y Gasset, l’encyclopédiste taurin Cossio, le journaliste taurin Mariano de la Cava, le poète aficionado Manuel Machado, le peintre Zuloaga.
Parce qu’il a rencontré Mazzantini il va le voir toréer le 22 les toros de la veuve Martín. La corrida n’est pas terrible, lui s’y ennuie terriblement. Il écrira plus tard que les corridas l’ont toujours « ennuyé et répugné ». Il est incapable de voir une corrida jusqu’à sa fin. Si la tauromachie le répugne c’est parce que la furieuse passion des Espagnols pour elle contamine l’Espagne et la « corrompt ».
Mais évidemment avec lui rien n’est univoque, Unamuno : « les corridas me font rêver et si quelque chose m’attire en elle c’est leur barbarie ».
Unamuno, hostile à la corrida ou plutôt hostile à l’obsession des Espagnols pour elle – c’est ce qu’il désigne comme une barbarie – mais penseur anticonformiste, se souvenait que, petit, il collectionnait les images de toreros célèbres et qu’à Bilbao, Lagartijo, ami de son père, lui avait caressé la joue. Adulte, la corrida il sera contre ou, plutôt pas pour, mais presque obsédé par elle, c’est-à-dire par l’Espagne, et sa « solennité tragique ».
Il faut préciser qu’à son époque la corrida était nettement plus sauvage qu’aujourd’hui, qu’outre les chevaux de picadors beaucoup de toreros mourraient, que les spectateurs pouvaient être féroces et que certains, selon lui, y assistaient dans l’espoir qu’un torero pourrait « ir al hule », s’allonger sur la toile cirée de l’infirmerie après un bon coup de corne. Il voyait l’aficionado sérieux « comme un troglodyte ».
Cependant la corrida est pour lui l’essence de l’Espagne. Il l’évoque sans cesse dans des lettres, des poèmes, ou des articles de La autoridad corrida en los toros de 1891 à Huichilobos y el bisonte de Altamira de juin 1936 à la fin de sa vie. Cette relation ambigüe fonde le propos du livre de l’universitaire José Maria Balcells, Tragedia en juego, toros y tauromaquia en Miguel de Unamuno*.
Unamuno épouse d’abord, dès 1911, les thèses violemment anti corrida d’Eugenio Noel, par ailleurs excellent connaisseur de la chose. Puis rapidement il s’en sépare. Pour lui Noel qui explique que la corrida et le flamenquisme sont les deux maux les plus importants de l’Espagne est trop caricatural.
Lui relativise : ce sont deux maux parmi d’autres et, au sujet de la mort de Joselito, il écrit que « dans ce contexte la proposition d’en finir avec la corrida est totalement inutile ». Pour lui la tragédie de Joselito à Talavera est conforme à la civilisation espagnole « une culture affamée de tragédie ».
Le romancier Azorín, de sa même génération, avant, plus âgé, d’écrire sur son compatriote le toréro Pedres, jugeait la corrida « brutale et barbare ». Unamuno dénonce certes la barbarie de la corrida, sans la lier aucunement à la mort du toro ou des chevaux, mais la met en perspective, la relativise.
Dans son article La noche de 1911 : « Je ne trouve pas le spectacle de la corrida barbare en soi ou qu’il soit plus barbare que d’autres. » Pour lui le football, la boxe « oui c’est barbare » et le basket-ball aussi qui est en train de conquérir les foules espagnoles et « constitue un dommage social plus grand » que les toros. Le football « est un combat incivil, barbare, préhistorique, d’autochtones contre d’autres, une manifestation du plus triste chauvinisme ».
Si la corrida le hérisse pour l’idolâtrie qu’elle suscite le bruit du mélange des dominos sur un table de café l’exaspère encore plus que les infinies conversations entre aficionados qu’il déteste. Il dit quelque part que parler sans cesse de toros suppose une mentalité guère plus élevée que celle d’un batracien. Que les toreros soient plus entourés d’admirateurs que les intellectuels
* Tragedia en juego, toros y tauromquía en Miguel de Unamuno, José Maria Balcells, UJA (université de Jaén) éditorial, 2022, 491 pages.
Parce qu’exposer sa vie pendant quelques heures dans l’année ce n’est pas travailler. Joselito est mort millionnaire et beaucoup d’autres en ayant travaillé beaucoup plus que lui, en ayant travaillé vraiment, meurent d’un accident de travail sans rien laisser à leurs enfants ou à leurs parents.
Et, s’agissant de tauromachie, il est clair que son utilité pratique et immédiate est indéniable. Elle consiste à divertir et distraire ceux qui sont incapables de s’amuser et de se distraire avec quelque chose de plus beau et de plus élevé et à donner des sujets de conversation à ceux qui ne trouvent rien à dire sur l’histoire contemporaine, sur notre monde.
Parce que si on enlève les corridas de toros de quoi vont-ils parler ? De la situation en Allemagne ? Du bolchevisme ? De la ? Du syndicalisme ? “Non ne me parlez pas de ces choses !” “Ne me parlez pas de la guerre !” “Non, ne me parlez pas du syndicalisme !” Mais tout ce que nous professons contre cette sauvagerie des corridas – et pire que la barbarie du spectacle même c’est la stratification, l’abêtissement qu’à le commenter ça inflige à l’intelligence – tout ce que nous formulons ainsi…
Mais plus surement le désir de faire vite fortune sans travailler. grève en France contre elle ce sera en vain. Après cette triste mort, ce véritable suicide livré en spectacle à un peuple conscient, les aficionados reviendront aux arènes avec le secret désir d’assister à un autre suicide.
Oui, oui c’est très bien qu’on combatte les corridas comme spectacle de la barbarie ; mais la plus grande barbarie c’est que l’élevage du bétail bravo est la cause d’une lamentable économie agraire. Elle dépeuple les campagnes, augmente le prix de la viande, met l’élevage de bouche au second plan et favorise la fainéantise. Être éleveur de bétail pour la viande, le lait, nécessite des connaissances et une intelligence dont on n’a pas plus besoin pour élever des toros de combat que pour être intelligent « en toros ».
Cet été le problème du conflit agricole reviendra se poser en Andalousie, sur ces terres d’où est issu le pauvre et le malheureux Joselito. Ceux qui ne se résolvent pas à exposer leur vie devant un toro pour devenir millionnaire, ceux qui veulent du travail exigeront un meilleur salaire.
Et, certainement, plus d’un riche grand propriétaire voudra abolir le conflit en arrachant des terres à la production de céréales pour les destiner à l’élevage de toros bravos, car ainsi on augmente la population de toros et on diminue celle des hommes. Cette mort de Joselito est une péripétie de la terrible lutte entre les maîtres de la terre et leurs esclaves. »
Et lui, doyen de l’université de Salamanque il se félicitait d’avoir le picador Antonio Ramirez “Memento” à sa table au fameux café Novelty. Il est vrai que “Memento” voulait devenir écrivain, philosophe, qui sait, comme Unamuno qui a reconnu que le combat des toros était le plus traditionnel et le plus orthodoxe des beaux-arts.
C’était un drôle d’oiseau, c’est-à-dire un type qui pensait, y compris contre lui-même, capable d’écrire 253 pages sur Le sentiment tragique de la vie en même temps qu’un essai sur les cocottes en papier dans Traité de cocotologie.
Unamuno/Joselito
Article de Unamuno sur la mort de Joselito (extraits). Publié dans La Libertad, du 3 juin 1920.
« La mort […] de Joselito revient poser le problème de cette sauvagerie que quelques-uns nomment la fiesta nacional. Les points de suspension après la mort correspondent à un adjectif que nous n’avons pas su trouver. Une tragédie ? Non, ici pas de véritable tragédie parce qu’il n’y a pas un choc de passions. Fatidique ? Non, il n’y a pas de fatalité, car c’était prévisible. Sans doute il serait préférable de l’appeler suicide. Parce que, à proprement parler, c’est un suicide. Un suicide possible et probable. Les causes ? Une soif de gloire ?
Peut-être quelque chose le révoltait. Ses autres griefs envers la corrida : un, l’élevage du toro bravo est préjudiciable à l’agriculture. Deux, le spectacle taurin est trop lié à l’autorité politique. Qu’il en soit comme l’émanation le fout en pétard. Que l’autorité politique via le président d’une course puisse donner une amende à un torero ou l’envoyer passer la nuit au poste, comme pour la corrida madrilène du 15 mai 1936 où Lalanda, Ortega, Manolo Bienvenida ont refusé de toréer avec le Mexicain Armilita et ont été mis en prison, ça l’indigne.
Il y voit là oui, une « barbarie gouvernementale ». D’autre part il ne supporte pas la caricature que ses adversaires font de la course de toros. Dans Entremeses yankees il répond de la façon la plus violente et en la ridiculisant à l’américaine présidente d’une association de tempérance Mary F. Lowell qui, en 1896, a publié un libelle anti-taurin empli de contre-vérités flagrantes : « elle ne sait pas ce qu’elle dit » ; « elle est l’auteur d’une des plus grandes stupidités écrites » ; qu’est-ce qu’il ajoutait Unamuno ? Que le paysage espagnol archétypique c’était un toro sous un chêne du Campo charro. Il en dessinait.
n°341 | 6 avril 2023 | page 2/2 | sur abonnement | Éditions
Barbarie. Jean Claude Michea le 25 novembre dans Le Figaro. « Vous aurez certainement remarqué, en effet, que si l’aficionado tient généralement à rappeler qu’il comprend parfaitement, pour sa part, qu’on puisse détester la corrida, la réciproque, en revanche, ne peut jamais être vraie.
C’est qu’un (ou une) “anti-corrida” vit précisément toujours, par définition, son propre refus de chercher à comprendre qu’on puisse trouver la moindre valeur à un spectacle aussi “barbare”, comme un signe supplémentaire de sa supériorité morale et humaine. Attitude typiquement néocoloniale, en somme, et contre laquelle Lévi-Strauss nous avait pourtant mis en garde dans Race et histoire : Le barbare, y observait-il (Montaigne disait d’ailleurs la même chose quatre siècles plus tôt), c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »
Inflation. À cause de l’inflation du prix du pienso, les aliments composés du toro, une augmentation d’environ 30%, le prix de revient d’un toro de cinq ans est selon Maria Domecq de 6 000 euros.
Gonflette. Juan Pedro Domecq sur le site Cultoro : « Mes toros sont terriblement bravos. Je crois que ce sont les toros qui dépensent le plus d’énergie. Mon début de saison a été très bon. Je suis au commencement d’un cycle grandiose. » Vu le manque de toros au campo Juan Pedro Domecq s’est dit partisan de corridas avec quatre toros.
Programme. Arles SAMEDI 8, corrida (16 h 30). Toros, La Quinta. Toreros Castella, Roca Rey (mano a mano). Le matin, novillada sans picadors. DIMANCHE matin novillada (11 h). Toros, Pages-Mailhan, Fernay et filles, Blohorn, Cuillé, Tardieu, Gallon. Toreros, Yon Lamothe, Lalo de Maria, Fabien Castellani. Après-midi corrida. Toros, Victoriano del Rio. Toreros, Daniel Luque, Emilio de Justo, Juan Leal. LUNDI matin, cheval. Toros, San Pelayo. Ribeiro Tellez, Léa Vicens, Guillermo Hermoso de Mendoza. Après-midi corrida. Toros, Victorino Martín. Toreros, Garrido, Clémente, Valadez.
Reina d’un jour. Samedi 1er à Almendralejo où il a une promenade à son nom, Luis Reina a fêté ses 65 ans en remettant exceptionnellement l’habit de lumières. Il a coupé deux et deux oreilles, comme De Justo. Talavante 2 oreilles et une queue. Un tour de piste pour un toro de Juan Pedro Domecq. Morenito d’Arles a salué au sixième Domecq.
Luis Reina qui a aussi une rue à son nom à Talayuela est depuis plusieurs années responsable de l’école taurine de Badajoz d’où sont sortis entre autres Antonio Ferrera, Garrido, Miguel Angel Perera, Talavante, Ginés Marín, Manuel Perera. On dit que Luis Reina aurait été le premier torero à aller a porta gayola à Las Ventas. Pas sûr. En 1986 il a toréé en portant une publicité de l’entreprise japonaise Akai sur son habit de lumières, ce qui lui a rapporté une grosse polémique et 10 millions de pesetas.
Madrid. Dimanche, le picador Juan Manuel Sangüesa met Las Ventas debout pour ses 3 piques à Paracaista de Cuadri. Adrian de Torres « épique » (Barquerito) devant le dangereux Revisor (Cuadri). Une oreille.
n°341 | 6 avril 2023
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