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Critique : Mongolie, l’eldorado n’existe pas.

publié le 06/09/2014 | par Jean-Paul Mari

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Olivier Laban-Mattei ne fait pas de photos, il vit la photographie. Il affiche rarement un appareil en bandoulière comme il est de bon ton ici à « Visa », il le porte en lui. C’est un chat maigre de trente-sept ans, casquette de laine sur la tête, entre paysan et rebelle, sa Corse natale tatouée sur son bras droit. Par ailleurs, bourré de talent jusqu’aux yeux.

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Bon, il est un peu abimé comme on dit chez lui. Imaginez : il a passé dix ans à l’AFP, maison solide, beau boulot, bon salaire, retraite assurée et plein de potes à la rédaction. Il faisait même partie des grands espoirs de la maison. Ses images, transmises sur le fil, ont été publiées partout. Et puis, un jour, en reportage sur le tremblement de terre en Haïti, on lui demande de rentrer au bout de trois semaines. Trop court. Lui aimerait rester, creuser, fouailler, avec la mentalité d’un mineur de fond. Bon soldat, il rentre à Paris et…démissionne. Histoire d’ouvrir dans sa vie une nouvelle page blanche faite de grande liberté et d’une infinie galère.

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À l’heure des vacances, il prend son Leica, emmène son rejeton de onze ans en Mongolie et lui confie un Polaroïd, modèle antique. Père et fils voyagent, avalent 1500 kilomètres de poussière, rencontrent la Mongolie sur le terrain, font des photos et un livre, superbe. Le gamin revient à l’école et Olivier décide de repartir en Mongolie.

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Creuser, fouiller, fouailler. Cela tombe bien, la Mongolie passe pour un eldorado avec le plus gros potentiel minier en or, cuivre et charbon. Olivier s’y installe. Un an et demi dans un dortoir pour étudiants, avec un lavabo, des nouilles coréennes au menu et un demi SMIC par mois pour vivre, histoire de creuser cette fois le moins possible son trou à la banque.

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Un désert de 1,5 million de kilomètres carrés, trois fois la France, pris entre les deux géants russes et chinois, – 40° l’hiver, + 30 l’été, des températures à fendre les pierres et les hommes, pas ou peu de routes, un vent à décorner les yourtes, la moitié de la population qui vit dans la capitale Oulan Bator, plus polluée que Pékin, 60% des habitants installés dans des bidonvilles, la violence et l’alcool, le record absolu de pneumonies, bronchites, asthmes, eczémas, cancers et tuberculoses résistantes aux médicaments de toute façon inaccessibles…l’Eldorado a une drôle de gueule.

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Oulan Bator est posée dans une cuvette où on se chauffe et cuisine au charbon de bois qui exhale un nuage mortel et stagnant de monoxyde de carbone. Autant vivre dans une pièce hermétique où la cheminée refoule. On souffre, on étouffe, on tousse, on crache, on accouche de prématurés, d’enfants handicapés, on boit et on se bat, on meurt par manque de soins, de maladie, d’épuisement, d’abandon. Et l’État s’en fiche, résultat d’une culture nomade, d’une corruption galopant à la vitesse d’un cheval des steppes sur la montagne d’or des mines du pays vendues aux étrangers.

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Que croyez-vous que fît le photographe ? Il aurait dû prendre ses photos et fuir. Non. Il reste. Monte une équipe de rédacteurs-vidéastes avec une poignée des cent cinquante français perdus au pays des Mongols.

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Et il passe le pays au peigne fin, visite les yourtes et les HLM accumule les images et les témoignages des médecins, poètes, calligraphes, voleurs et orpailleurs clandestins. Pollution, santé, social, éducation et corruption, tout y passe. Avec l’idée folle d’ouvrir un débat au sein même du pays pour faire avancer les choses. Et quand il descend à 150 mètres de profondeur au fond d’une mine sauvage, dans des galeries non étayées, il réussit à faire des images d’une force incroyable.

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Noir. Noir comme le charbon. Olivier fouille la noirceur. Celle des mines, des rues polluées, de la fumée des décharges et des visages sans-espoir. Le Noir et Blanc est son domaine. Le blanc pour soutenir le noir. Pour lui, le noir n’est pas l’obscurité, mais une source de vie, une couleur, la vraie, qui va du gris clair au gris très foncé, dans une palette infinie de nuances. Il travaille en monochrome, rend son noir poussiéreux, granuleux, chaleureux ou flou, fantasmatique, onirique.

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Dans une exposition en couleurs, il y a toujours une image qui attire l’œil en premier et lui croit que le noir et blanc convient au récit, que les photos se lisent du début à la fin, peuvent raconter leur histoire. À l’Église des Dominicains où son travail est affiché, la foule se presse, aspiré, se colle aux photos pour mieux les déchiffrer. Et les images sombres renvoient en miroir la brillance du verre, les projecteurs et le reflet des spectateurs qui, le temps d’un regard, font partie de l’image.

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On regarde ce croisé du noir, ce Corse des montagnes qui veut sonder le désert et on se dit qu’il risque de finir englouti par son sujet, fasciné et avalé, installé sous une yourte, mongolisé. Il en rit en racontant l’histoire d’Eugene Smith, un grand photographe américain qui s’est perdu dans Pittsburgh. Son talent avait éclaté avec Minamata et la Guerre du Pacifique. Il a accepté une commandé sur Pittsburgh la minière, est resté, a fait des milliers de photos que personne n’a achetées, y a brûlé sa vie. Olivier a retenu la leçon. Il part en Afrique réaliser un long reportage pour l’UNHCR, histoire de calmer les affres de son banquier. Et il repartira sans doute, encore une fois quand même, en Mongolie, son eldorado perdu.

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Voir aussi:

Vietnam
Centrafrique
Les murs ont des yeux

Avertissement: les photos publiées dans ce carnet sont de simples étiquettes indicatives, prises à la volée, comme par l’oeil d’un visiteur. Elles ne représentent en rien la qualité artistique des images exposées avec art dans les différents musées et salles de « Visa » à Perpignan.


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