Enquête : Sinaï. Deux femmes sur la piste des rançons -Voyage en barbarie (2)-
L’une sur le terrain, l’autre au cœur des institutions. Deux femmes, deux militantes des droits de l’homme, se battent depuis des années pour collecter les preuves du plus grave trafic d’êtres humains de la Corne de l’Afrique : la déportation, la séquestration, la torture et la mort d’au-moins 50 000 Erythréens (1) par des Bédouins du nord-est du Sinaï.
(Photos Cécile Allegra- Delphine Deloget pour Le Monde – Tous droits strictement réservés )
Il est presque minuit, en ce dimanche de mai 2013. A El Mahdeya, petit village du Nord-est du Sinaï, treize hommes, pistolets mitrailleurs Uzi flambant neufs en bandoulière, sirotent un thé brûlant. Sous un porche à peine éclairé, ils entourent leur chef, Cheikh Mohammed Hassan Awwad, un dignitaire du nord-est du Sinaï. Tous sont silencieux et tendus. Au même moment, au Caire, Fessaha Alganesh vient d’atterrir à l’aéroport où un pick-up l’attend. Voix ferme et regard sévère, cette militante italienne d’origine érythréenne a ses habitudes dans la capitale. Peu après, son portable sonne. « Non, Cheikh, ils ne m’ont pas encore appelé », dit Alganesh dans un arabe impeccable. La militante obstinée et le chef bédouin salafiste.
Depuis six ans déjà, cette curieuse équipe se réunit régulièrement pour organiser des libérations d’otages. A ce jour, plus de 50 000 migrants érythréens ont été kidnappés et déportés dans le Sinaï. Dans le désert, ils sont torturés par des trafiquants bédouins avant d’être relâchés contre une rançon exorbitante. Cette fois, Alganesh est particulièrement anxieuse. « Parmi les otages, il y a un garçon de 13 ans à peine, Merih. Sa voix est si faible que je l’ai pris pour une fille. Comme les autres, il est trop pauvre pour payer. Les tortionnaires sont en train de les massacrer. ». Au péril de sa vie, le gamin a réussi à dérober un téléphone portable. Et à transmettre des détails à Alganesh : « La prison n’est gardée que par deux hommes et serait proche d’une mosquée. C’est donc forcément près d’El-Mahdeya. J’ai prévenu le Cheikh. »
le résultat des tortures, des coups de la faim.
3h du matin. Alganesh a passé les barrages jusqu’à El-Arish, capitale du Sinaï. Elle file vers El-Mahdeya, le fief de Cheikh Mohammed, à trois kilomètres à peine de la frontière avec Gaza. Un nouvel appel de la « maison de torture » a averti que les gardiens ne dorment toujours pas. Au téléphone, Cheikh Mohammed s’impatiente. « Tant pis, Alga, je vais les chercher». Les pick-up filent vers les dunes. Trois « mazkhan», trois prisons, se détachent dans le désert sous la lune.
Le Cheikh et ses treize hommes déboulent, enfoncent une porte et en ressortent avec seize prisonniers, squelettes titubants, encore enchaînés les uns aux autres. Quelques instants plus tard, les rescapés sont installés dans une cachette au milieu d’un champ d’oliviers, à cent mètres de la maison de Cheickh Mohammed. Les regards sont vides, les visages décharnés, blanchis par l’horreur. « C’est fini, mes enfants, c’est fini », leur murmure Alganesh en langue tigrigna.
Dans la région, le jeune Cheikh de trente-trois ans est le seul à oser secourir les migrants. « Il en faut du courage ! Tout autour de lui, il y a au bas mot quinze maisons de tortures », s’émeut Al Ganesh en aidant une femme à se coucher sur le flanc. Malgré ses 65 ans, cette survivante a été violée. Soudain, le Cheikh entre dans le hangar, tenant à bout de bras les deux gardiens-bourreaux, deux bédouins de 19 et 20 ans. « Cette femme pourrait être votre grand-mère, misérables ! A genoux ! Et demandez pardon ! ». Puis il se tourne vers les autres et lance : « Ils sont à vous, punissez les ». Les seize squelettes murmurent un « non » et s’enfouissent sous les couvertures.
La maison de torture dans le Sinaï
Seul, le jeune Merih, malgré ses 28 kilos, se redresse et lance: « Cheikh, nous leur avons pardonné ». Puis il se tourne vers Alganesh, large sourire aux lèvres : « tu vois ces os ? Un jour, ils deviendront des muscles, et je te défendrai toute ma vie ». Et pour la première fois, Alganesh, la militante endurcie, fond en larmes. Pendant deux jours, sans relâche, celle que les rescapés appellent « Mamma Alga » va porter secours aux survivants. Il n’y a pas de petites blessures. Epaules disloquées, mains en charpie, plaies béantes sur le torse, pas un carré de peau qui ne soit coupé, brûlé, arraché. « Faire ça à un autre être humain… Comment peut on laisser cette barbarie se produire XXIe siècle ? ». Alganesh secoue la tête, en montrant le talon à vif d’un gamin de 20 ans, d’abord supplicié à coups de couteau, puis dévoré par les vers.
La militante photographie les visages et les blessures avec son portable, « mon coffre-fort », plaisante-t-elle. Juste avant de partir pour le Sinaï, elle a communiqué les noms des prisonniers au bureau de l’UNHCR et prévu seize sauf-conduits, indispensables sésames pour franchir à nouveau les barrages en direction du Caire. Sans cela, les survivants pourraient être arrêtés pour « entrée illégale sur le territoire égyptien ». Cette fois ci, les rescapés auront deux jours pour se reposer. « Mais souvent il faut fuir, avant que les tortionnaires ne nous rattrapent ». Sur un carnet, Alganesh note chaque nom et chaque histoire en détail : « un jour, nous demanderons justice pour ce crime contre l’humanité ». Le mot est lâché.
Depuis 2008, Fessaha Alganesh n’a qu’un objectif : prouver au monde que ce trafic abject existe et qu’il est en train de se propager à toute la Corne de l’Afrique. A ce jour, elle et le Cheikh sont parvenus à libérer 750 survivants des maisons de torture. Pour 3400 autres, jetés dans les geôles égyptiennes, Alganesh a réussi un formidable tour de passe-passe diplomatique : une liste à la main, elle a leur obtenu des papiers délivrés par l’Ambassade éthiopienne du Caire. Grâce à l’aide financière de plusieurs institutions italiennes, les Erythréens-Ethiopiens ont pu ainsi s’envoler vers Addis-Abeba, et recommencer leur vie dans l’un des cinq grands camps de réfugiés du pays.
Meron Estefanos à Stockholm
A cinq mille kilomètres de là, Meron Estefanos branche son micro, posé sur la table de la cuisine du modeste trois pièces qu’elle loue dans la banlieue de Stockholm. Cette Erythréenne naturalisée suédoise est connue de toute la diaspora. Femme solide, la voix grave, toujours tendue vers l’action, les épaules larges couvertes d’un bouquet de tresses nattées, elle anime depuis six ans une émission sur la radio libre Erena. « Au début, j’interviewais des évadés de la dictature. Ils racontaient le service militaire à vie, les camps de travail forcé, les exactions du régime du dictateur Afeworki ».
L’émission fait un tabac. En mai 2008, Meron Estefanos prononce son premier discours devant l’Union Européenne. Puis se lance dans une tournée de conférences «… avec mon fils cadet au sein, il aura vu au moins 15 pays avant d’avoir soufflé sa première bougie ! », plaisante-t-elle en secouant ses longues tresses brunes. Fin 2009, les appels commencent.
Au bout du fil, des hurlements à fendre l’âme : la torture, en direct du désert. « Les tortionnaires laissaient le téléphone allumé et se mettaient à verser du plastique fondu sur les otages, à les brûler au fer rouge… Les premiers coups de fil me laissaient vidée, en larmes », confie cette quadragénaire, dont le sang froid est pourtant sidérant. Nuit et jour, les appels s’enchaînent. Ses gosses dorment dans la chambre contiguë mais Meron perd le sommeil. Elle console les otages, tente en vain de calmer les bourreaux.
« Mais on ne négocie pas avec un bédouin tortionnaire », sourit-elle amèrement. Alors elle se résout, malgré elle, à appeler à la collecte de fonds pour faire libérer le plus de prisonniers possible. « En Erythrée, aucune famille n’a les moyens de payer la rançon, en général plus de 30 000$», insiste la militante. Il faut vendre les maisons, le bétail, les bijoux quand il y en a, recueillir les dons de plusieurs églises, de plusieurs villages. Se retrouver à la rue. Renoncer à soigner un proche.
« Pour une rançon, ce sont plusieurs vies réduites à néant ». Il faut aussi faire appel aux exilés. « Une fois la rançon réunie, il faut l’expédier par Western Union en Israël, où des complices récupèrent l’argent. Sinon, le tortionnaire indique un intermédiaire qui lui fera parvenir la somme par le système de la hawala (chaine de paiement) ». La méthode est étonnamment bien rodée. Meron est face à un cruel dilemme : payer les rançons alimente-t-il le trafic ? Ou au contraire faut-il sacrifier les otages pour éviter que d’autres ne soient enlevés ? « Que celui qui n’a jamais entendu son enfant, son frère ou sa sœur hurler à la mort se pose la question : qu’aurais-je fait à sa place ? », tranche Meron.
« J’ai toujours refusé de payer, d’engraisser cette mafia », rétorque Alganesh l’inflexible de sa voix douce mais intransigeante. Elle serre ses nattes minces sous un bandeau blanc et allume un bâtonnet d’encens indien dans le salon de son appartement de Milan. Hésite : « Mais rien ne laissait deviner que ce trafic puisse se transformer en massacre ». Voilà dix ans qu’elle sillonne le delta du Nil. Et tout a changé. Jusqu’en 2008, le trafic vers Israël était régulier – 500 migrants par mois – et les tarifs bas, 600 à 1000 dollars le passage. Sans torture à la clé.
A l’époque, Somaliens, Afghans et même Chinois empruntent la même route. Dans le Sinaï égyptien, Alganesh rencontre passeurs et tortionnaires. Elle reconstruit la mécanique du trafic. La majorité des fuyards sont enlevés sur les routes frontalières entre Erythrée et Soudan. D’autres, à la porte des deux grands camps de réfugiés de l’UNHCR, – Kassala et Al-Shagarab – tout cela avec la complicité de la police soudanaise.
La valeur « de base » d’un réfugié varie entre 600 et 1000$ pour les premiers kidnappeurs. Puis les otages passent de main en main, revendus à chaque étape, comme du bétail, avant d’être finalement introduit au Sinaï par trois grands points de passage : le tunnel qui passe sous le canal de Suez, le pont qui l’enjambe et une série de villages de pêcheurs le long de la mer Rouge. Alganesh note les salaires des chauffeurs, celui des geôliers, des nomades Rashaida qui gèrent le transport et des intermédiaires basés à Suez qui organisent le marché entre les différents kidnappeurs et les acheteurs bédouins. Chaque transaction renchérit la valeur de l’otage, au gré des bakshishs versés : 100$ pour un policier soudanais et jusqu’à 300$ pour un garde-frontière égyptien. « Aujourd’hui, à son arrivée dans le Sinaï, un migrant érythréen vaut déjà 5 à 10000 dollars, au bas mot », conclut Alganesh.
Fin 2010 apparaît une nouvelle filière du trafic, basée en Ethiopie, jusqu’alors le seul pays qui accueillait les Erythréens. « Au sein même du camp de réfugiés de May Ayni, tout proche de la frontière érythréenne, des gamins de 13-14 ans se voyaient promettre un travail au Soudan. Des bus venaient ensuite les prélever. 24h plus tard, ils étaient remis directement aux passeurs soudanais. Et ce transfert était géré entièrement par… des Erythréens ! », se désole Alganesh . Courant 2011, le soupçon se confirme. Les rescapés du Sinaï racontent que pour atteindre la frontière, ils doivent d’abord graisser la patte aux policiers ou aux militaires.
Un gigantesque trafic dont le cerveau ne serait autre que le général érythréen Teklai Kifle Manjus, commandant de la zone militaire de l’ouest de l’Erythrée et proche du dictateur Issayas Afeworki. Dans un rapport accablant, l’ONU désigne Manjus comme responsable et établit que « l’exode massif de demandeurs d’asile traversant la frontière ouest de l’Erythrée ne peut en aucun cas se faire sans la complicité des autorités gouvernementales ». Aujourd’hui, Alganesh est convaincue que « l’intégralité des filières, jusque dans le Sinaï et en Libye, est gérée par des érythréens ». Malgré les dénégations du régime, le trafic de migrants permettrait donc de financer la dictature.
A partir de 2012, la machine à broyer s’emballe : « un jour, je reçois un coup de fil de Tariq, mon contact à la morgue de l’hôpital d’Arish. Il insiste pour que je vienne au plus vite ». Quand Alganesh pénètre dans la salle jaune aux murs maculés de sang, elle est « saisie par une violente odeur de mort ». A sa gauche, une chambre frigorifique où seize cadavres sont entassés, à quatre par tiroirs. A sa droite, dix corps, posés à même le sol, portent d’étranges blessures. : « des entailles nettes, sur le buste et au niveau des reins » , précise Alganesh. « L’un des cadavres avait été privé de tous ses organes internes ». Elle demande alors aux médecins égyptiens la raison de ces sanglantes autopsies. Pas de réponse.
« Certains survivants m’avaient raconté qu’on menaçait de prélever leurs organes s’ils ne payaient pas. Mais je n’avais pas de preuves ». Cette fois, le tableau des incisions chirurgicales et des sutures confirmerait une hypothèse glaçante: certains bédouins se livreraient à un deuxième trafic avec la complicité d’hôpitaux basés à Gaza ou en Israël. Une fois de plus, Alganesh se heurte pourtant à l’incrédulité. Un trafic en plein désert ? Des organes transportés par les tunnels de Gaza ? Impossible !
En 2013, pourtant, le jeune Berhane*, l’un des derniers libérés du Sinaï, décide de parler. « Il m’a dit : un jour j’ai vu entrer un médecin avec un gros sac. Les gardiens m’ont demandé d’aider à transporter un ami qui agonisait jusque dans une pièce mitoyenne, où trônait une table propre. Le médecin a coupé, mis des choses dans son sac. Puis il est reparti rapidement dans une Landcruiser, vers la frontière. » Pour Alganesh, ce témoignage constitue la première preuve tangible d’un commerce sordide. Voyage après voyage, elle continue inlassablement de dénoncer l’atrocité du trafic. Par deux fois, elle a été emprisonnée à Arish par la police égyptienne.
« Trop de pays sont compromis. Personne ne veut l’admettre. Or je suis convaincue qu’à eux seuls, les bédouins n’auraient jamais pu donner au trafic la dimension industrielle qu’il a atteint aujourd’hui. Il y a certainement une, voire plusieurs autres organisations derrière cette progression fulgurante. Et un jour, je parviendrai à le prouver. » Alganesh n’en dira pas plus, pour ne pas mettre son ONG et son travail en danger. Mais on devine le spectre des douze cellules djihadistes présentes dans le nord-est du Sinaï. Ou celle du Hamas, comme nous l’ont affirmé des experts de la région.
Les mains atrophiées par les tortures.
En Suède, derrière le micro installé sur sa table de cuisine, Meron aussi continue le combat. Grâce à sa radio, elle enregistre des centaines d’appels et de témoignages, macabre refrain de six ans de torture. Entretemps, elle a rencontré deux spécialistes néerlandaises, expertes en droit des migrants. Ensemble, les trois femmes dressent des listes d’anciens otages et frappent aux portes des institutions internationales. Fin 2011, l’Union Européenne réagit et demande une étude sur ce trafic méconnu.
Meron est à nouveau en première ligne. En un an, elle se rend six fois en Israël où 35 000 érythréens vivent sous l’œil exaspéré de la population qui les appelle « les infiltrés ». Quand le survivants, exsangues, se traînent de l’autre côté de la frontière, certains sont aussitôt arrêtés et parqués dans des camps de détention. A Tel-Aviv, Meron court de squat en squat pour essayer de retrouver ceux qu’elle n’a connu que hurlants de douleur au téléphone.
A la fin d’une réunion d’information, dans le quartier de Petektiva à Tel Aviv, un garçon s’approche d’elle. « Meron, c’est moi, Filmon ! ». Meron sourit par politesse. « Des Filmon, j’en connais des dizaines ». Mais ce Filmon là n’est pas comme les autres. Et en apercevant les deux manchons noirs qui dissimulent ses mains, Meron comprend. Les tortionnaires de Filmon l’ont suspendu si longtemps au plafond du mazkhan que ses mains se sont nécrosées. Il ne lui reste que deux doigts en forme de pinces réparées du mieux possibles par des chirurgiens israéliens après trois opérations et autant de greffes de peau.
Pour se débrouiller au quotidien, Filmon a besoin de Daniel, un compagnon d’exil devenu son double. Il l’aide à s’habiller, à tourner les pages des livres, à reprendre goût à la vie… Photographiées par les enquêtrices de l’Union Européenne, les mains de Filmon deviendront le symbole de l’horreur du Sinaï. A force de conviction, Meron parvient à persuader les deux amis de raconter publiquement leur histoire. Difficile, tant ils redoutent des représailles pour leurs familles restées à Asmara.
De retour en Suède, Meron réussit un tour de force. Fin 2012, lors d’un énième appel du Sinaï, un tortionnaire lui donne le nom d’un intermédiaire basé à Stockholm qui sera chargé de recueillir les fonds. « C’était l’occasion que j’attendais depuis longtemps !», explique Meron. Elle fait jouer ses contacts dans les quotidiens suédois qui « sortent » l’affaire. Et contraint du même coup les policiers à ouvrir l’enquête. Meron est mise sur écoute. Au premier coup de fil, elle prévient son interlocuteur que l’argent qu’elle s’apprête à lui remettre finance le trafic d’êtres humains. « Il a raccroché précipitamment ». Le second contact aura la même réaction. Le troisième, un jeune d’origine palestinienne, lui lance : « j’en ai rien à foutre de ces minables d’Érythréens ».
Quelques mois plus tard, l’homme et un complice sont arrêtés. Au procès, qui se tient à Stockholm en juin 2013, ils affichent la même arrogance : « ils me traitaient de chienne, de traînée, de noire mal baisée. Ils se croyaient complètement au-dessus des lois. Je n’en revenais pas ». Les deux intermédiaires plaident non coupable. « Et en l’absence de preuve que ces deux criminels savaient à quoi l’argent était destiné, ils n’ont pris que quatre mois de prison ferme », soupire Meron. Mais pour la première fois, Europol a la matière pour ouvrir une véritable enquête sur les intermédiaires européens des trafiquants du Sinaï.
Meron, elle, poursuit désormais un nouvel objectif : traquer les passeurs et les tortionnaires, qui parviennent parfois, contre toute attente, à se faufiler parmi les listes des réfugiés accueillis dans les démocraties occidentales. « Ce trafic, c’est notre « Shoah » à nous, les Erythréens. Aucun tortionnaire ne doit rester impuni. Mon objectif, c’est de les traîner devant le Tribunal de La Haye.»
50 000 otages, entre 10 et 12000 assassinés.
Novembre 2013. Meron a enfin obtenu de l’Union Européenne une lettre d’invitation pour que Daniel et Filmon quittent Israël et viennent témoigner devant le Parlement. Un jour pluvieux, c’est une Meron émue qui va donc chercher Daniel et Filmon à l’aéroport de Bruxelles. Libres, enfin ! Quelques heures plus tard, devant un hémicycle bondé, Meron raconte en détails le trafic d’êtres humains dans la Corne de l’Afrique. Le rapport expose des méthodes de torture digne des pires univers concentrationnaires. Et souligne que les tortionnaires auraient levé, au bas mot, plus de 600 millions de dollars de rançons à travers le monde. La salle est sidérée.
Puis Daniel monte sur l’estrade et témoigne, le premier, à visage découvert. Filmon écoute en silence, masqué par un rideau d’où n’émergent que ses deux mains suppliciées. A la fin de la séance, il prend enfin la parole. « Nous avons été persécutés dans notre pays. Torturés et violés dans le Sinaï. Détenus en Israël. Certains sont morts à Lampedusa. Quel crime avons nous donc commis pour mériter cela ? Regardez mes mains, entendez nos cris, nos pleurs. Entendez nous, enfin ! Pour que le désert et la mer cessent d’être notre tombeau ».
(textes et photos Cécile Allegra et Delphine Deloget)
LIRE L’APPEL DES REALISATRICES
Les réalisatrices de « Voyage en barbarie », sur l’enlèvement, la détention, la torture et la mort des Érythréens dans désert égyptien du Sinaï, veulent produire un film plus long et traduit en anglais pour mieux faire entendre la voix des victimes.
Pour que ce film documentaire puisse prendre sa pleine valeur de témoignage, nous souhaitons pouvoir l’étoffer d’une trentaine de minutes et le traduire entièrement en anglais. Nous avons besoin de vous pour atteindre les pays qui ignorent encore tout de ce trafic, pour frapper à la porte des institutions, pour faire entendre la voix de ceux qui constituent aujourd’hui un tiers des demandeurs d’asile dans l’Union Européenne. Participer au financement de cette version anglais de 90 minutes, c’est donc participer à la (re)connaissance d’une histoire qui est encore en marche.
(1) The human trafficking Cycle, par Myriam Van Reisen, Meron Estefanos, Conny Rijken, éditions Wolfpublishers
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