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Vu de l’hôpital: »Allez donc intuber une trachée en vrac! »(6)

publié le 29/03/2020 | par Jean-Paul Mari

Chronique de la bataille des hommes en blanc.

Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


 

A peine la porte des urgences franchie, Clémentine, jeune médecin-urgentiste de 31 ans, a compris que la journée Covid serait volcanique. Dès le 14 mars, elle a interrompu ses vacances pour rejoindre les urgences, rythmées par des gardes de 24 heures d’affilée, 52 heures par semaine et jusqu’à 90 prévues. A la maison, son compagnon, kiné, s’occupe du petit garçon d’un an et demi.

De grands yeux verts cernés, un sourire à ramener à la vie, elle sait décider. La réa bondée, les lits d’urgence pleins, la surchauffe du service, soit. Elle a déjà tout encaissé, même les choix douloureux. Cette vieille dame en détresse respiratoire aiguë, le temps de décrocher l’appel et d’envoyer l’ambulance, c’est trop tard. A 80 ans, plus question de prendre en réa. Nos anciens meurent chez eux.

11 heures, Clémentine prend en charge un cas difficile : un homme, 60 ans, trop lourd, policier en activité, blessé et opéré il y a longtemps d’une balle dans la gorge. Allez donc intuber une trachée en vrac ! A 14 heures, on cherche une place en réa, ailleurs. Hôpital Cochin, plein. Villejuif, Villeneuve-Saint-Georges, Chantereine… rien.

Elle passe le relais au téléphone et se bat avec l’intubation. Le ballonnet ne tient pas, il y a des fuites d’air et le taux de saturation, l’oxygène qui passe dans le sang, chute : 100 %, c’est parfait, 94 %, devient embêtant, 90 %, c’est grave, 75 %, le cœur s’arrête. Le respirateur pulse l’oxygène pour combattre cette saleté de virus qui recroqueville les alvéoles pulmonaires.
Après quarante-cinq minutes au téléphone, enfin une place en réa à Bicêtre !

Mais plus un «camion du Samu» de libre. Depuis tôt ce matin, ils tournent à plein entre les hôpitaux. Et le policier endormi qui s’agite et mordille sa sonde. Clémentine lui redonne un anesthésique et du curare. Surtout empêcher toute respiration spontanée, pour bloquer l’inflammation des poumons. Il faut le stabiliser, sinon le malade ne supportera pas le transfert en brancard et les cahots de la route. 18 h 30.

Ah ! Voilà le Samu. L’équipe doit s’harnacher, masques neufs, gants, charlottes, blouses, surblouses. Clémentine regarde son malade partir dans le véhicule, sirènes hurlantes. Il est 19 heures.

Quarante minutes plus tard, l’homme est en réa, vivant, mais en grande souffrance. On le met sur le ventre, pour solliciter le poumon à l’arrière du thorax. Il tient. Peut s’en sortir. Il a fallu une demi-journée à Clémentine, deux heures de manipulations de plus et toute une équipe du Samu… Sans cette médecine de pointe, le policier serait mort.

«Bon, c’est pas fini…» Et les promesses du Président ? Oui, bon : «On a fait sans lui avant, on fera sans lui pendant.» Elle sait : «Passer le pic, c’est bien, mais la crise sera longue.» Interroge : «On va s’en sortir… mais dans quel état ?»


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