Vu de l’hôpital: «C’est une usine à gaz, son système»(32)
Chronique de la bataille des hommes en blancs. Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
Ni de gauche ni de vraiment de droite, le docteur Patrick (1), plutôt conciliant avec l’exécutif parce que «ce n’est pas facile de gouverner en ce moment». Un vieux routier de l’hôpital public, voix rauque de vieux fumeur et tempérament de grognard de la république en blouse blanche. Et là, justement, il grogne. En attendant que le Premier ministre se décide à parler du confinement. Alors, la colère du peuple contre les masques, bien sûr : «Fallait pas dire un coup oui, un coup non.» Et la méthode qui consiste «à rejeter la faute sur les scientifiques… Pas très fair-play».
Plus Edouard Philippe parle, plus le médecin s’impatiente devant cet exercice d’autojustification, teinté de quelques approximations. Vivre avec le virus du Covid-19 : «Le Covid est une maladie, pas un virus !» Quant à l’efficacité des masques «grand public» confectionnés par les particuliers… «Il est sérieux, là ?» En écoutant la définition des «brigades de département», il écarquille les yeux : «C’est une usine à gaz, son système, peut pas marcher.» Au mot déconfinement, il sursaute : «Ah ! Enfin.» Le Premier ministre parle de département «rouge» ou «vert», de la discipline, et menace. Lui finit par s’agacer : «Bref, c’est de la faute de tout le monde sauf du gouvernement ?»
Le praticien attend une réponse sur la démarche à avoir en hôpital. A force d’être obsédé par le Covid, on ne traite plus les autres malades, même graves, qui représentent 140 000 décès par an en temps normal. «Un simple insuffisant cardiaque ne consulte plus, se méfie de l’hôpital et nous arrive avec un œdème aigu du poumon !» Et loin d’un service pneumologie, un début de cancer flambe en trois mois. Quel plan ? Comment gérer les services ? Que faire des patients non-Covid ? Pour sauver 25 000 patients, faut-il continuer à tuer tous les autres ? Pas de réponse.
A l’énoncé des mesures à l’école, aux heures de pointe dans le métro, il explose. Dans sa banlieue surpeuplée et plus touchée qu’ailleurs («rouge donc») ou dans son village de 3 200 habitants, il voit circuler parents, gosses et vélos. Alors, appliquer des nouvelles règles aussi précises… «Des principes, de beaux principes ! C’est un plan théorique, dogmatique, politique, qui ne tient pas compte de la réalité du terrain.»
Et surtout, tout est fondé sur l’hypothèse des épidémiologistes, une fourchette de 3 000 nouveaux cas de contamination maximum par jour. Donc 1 millier sans aucun symptôme – «Allez donc leur dire qu’ils doivent se reconfiner» – et 1 600 avec une mauvaise «grippe», 400 hospitalisés avec forme grave et 150 envoyés en réanimation. Une simple hypothèse, une «fourchette étroite, au-dessus de laquelle tout serait à recommencer…»
(1) Le nom a été modifié.
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