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Vu de l’hôpital: Soignants, «je l’ai, je l’ai eu, je l’aurai» (33)

publié le 01/05/2020 | par Jean-Paul Mari

Chronique de la bataille des hommes en blancs. Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


«Comment va-t-il ?» Petit geste d’impuissance du médecin. «Toujours en réanimation, intubé, stationnaire…» Grimace de l’assistante. Tous deux connaissent le couple, elle, médecin hospitalier, lui, radiologue. Covid tous les deux. Elle récupère, pas lui, pas encore. On prend des nouvelles, en se disant les choses, vite, le nécessaire, parce qu’on n’a pas l’habitude de s’épancher sur soi, donc sur les confrères. Tant de douleur alentour, vous ne voudriez pas qu’on s’apitoie sur notre sort ? Ils ont tous cette conviction intime : les souffrants, ce sont les autres. Pas eux. Jamais eux.

Sauf qu’avec le Covid, ce sont les malades qui les tuent. Ils arrivent à l’agonie, on se penche sur eux – oxygène, intubation, perfusion -, souvent, ils s’en sortent et semblent vous remercier d’un grand soupir, un petit souffle d’air empoisonné, léger comme une bombe H. Quelques jours après, elle explose. Et c’est toujours en blouse blanche qu’ils arrivent au centre de dépistage. Au paroxysme de la crise, il en défilait une bonne trentaine par jour. Médecins, infirmières, aides-soignantes, logisticiens, secrétaires… un test positif sur deux, 50 %, l’hécatombe.

Ça va nettement mieux. Mercredi, 18 tests seulement et à peine 2 positifs. Il était temps. «Je l’ai, je l’ai eu, je l’aurai», la mélopée devenait sinistre. Certains reviennent plusieurs fois, grosse fatigue, sans fièvre, crâne en feu et ventre en bouillie. On teste. Rien. Repartent au travail. Une, deux, trois fois. Et puis, le scanner révèle l’image du poumon en «verre dépoli», Covid plus. «Cette saleté se planque partout. Et tue en silence», dit Gérard (1), le responsable des tests. Les semaines passent, la saignée devient collective et les mauvaises nouvelles arrivent de partout, d’un ancien interne, un oncle médecin de campagne, un amour d’infirmière. Sur 215 000 médecins en activité, 2 800 contaminés, 20 % chez les infirmiers, un Covid plus sur treize est un soignant. Déjà 25 morts en tout.

Qui dit pire ? Rien que dans cet hôpital, 280 soignants ont dû être arrêtés. Assez pour fermer l’établissement, non ? Non. Parce qu’ils reviennent, pâles, épuisés, souvent à peine remis, mais têtus, à leur poste. Stupéfiant.
Autrefois, à l’époque de la peste, de la lèpre, des famines, c’étaient aussi des hommes en blanc, mais en soutane, qui embrassaient les pestilentiels. Aujourd’hui, les religieux restent confinés. Ni prêtres, ni imams, ni rabbins dans le monde du dehors. Seulement une petite plaque de rue masquée par la verdure près de l’hôpital, au nom de l’Abbé Pierre, en mémoire d’un temps révolu.

DDM XAVIER DE FENOYL / JEAN MARC BERGIA CADRE DE SANTE SPECIALISE EN HYPNOSE AIDE UNE PATIENTE OPEREE AU CENTRE ODONTHOLOGIQUE DU CHU TOULOUSE RANGUEIL / CHIRURGIE BLOC DENTISTE OPERATION ANESTHESIE PERSONNEL MEDICAL MEDECIN DENTISTES ETUDIANTS FORMATION

Restent des hommes en blanc qui ne meurent pas pour un Dieu, mais pour les hommes. Les pères blancs d’aujourd’hui sont des médecins laïcs. Ne font que leur métier ? Ah, non, leur métier est de soigner, pas de mourir.

(1) Le prénom a été modifié.


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