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Afghanistan : Abdul le taliban

publié le 15/04/2009 | par Emmanuel Duparcq

Abdul Shafiq a 30 ans et deux activités dans la vie: lire le Coran et faire la guerre. Exilé en 2001, ce chef taliban a, depuis, repris du service dans ses montagnes afghanes, sacrifiant sa famille pour mieux accomplir sa mission: chasser les « infidèles » américains.


Il aura fallu plusieurs tasses de thé pour que l’homme mince au visage fin typique des Pachtounes du sud afghan commence à livrer son histoire dans une maison familiale posée sur un flanc de colline enneigé quelque part au sud de Kaboul.

Abdul Shafiq (un nom d’emprunt) porte une longue chemise crème et une veste de cuir discrète. Il a la peau très mate, le cheveu et la barbe noirs et épais, et des yeux marrons clairs brillants, comme les pierreries en toc brodées qui scintillent sur son petit chapeau noir plat.

De son récit se dégage une impression persistante: jamais cet homme n’a semblé aussi malheureux et démuni qu’en période de paix.
Né « un an avant l’invasion soviétique » de décembre 1979, il passe son enfance dans son Wardak natal, une province située au sud-ouest de Kaboul.
Après l’école publique, jusqu’à 13 ans, il passe six ans dans une école coranique (madrasa) où des professeurs « arabes » enseignent un islam rigoriste.

Il en sort à 18 ans en 1994, mûr pour rejoindre le mouvement taliban qui entame sa progression vers Kaboul.
En 1996, les talibans prennent Kaboul. Abdul se rappelle l’entrée dans la capitale, « tous des gens qui étaient heureux de voir les talibans, des bons musulmans, mettre fin aux tueries, aux vols et aux viols des moujahidines ».

Le jeune homme, 18 ans dont déjà deux années à leurs côtés, est éduqué et peut prétendre travailler dans la nouvelle administration.
Mais il préfère aller se battre dans le nord contre les partisans du commandant Ahmad Shah Massoud, l’ennemi juré des talibans. « De bons combattants. On se respectait », souligne-t-il.

Le 11 septembre 2001, dans les montagnes du nord afghan, la radio des combattants talibans annonce que des avions détournés par Al-Qaïda ont frappé les Etats-Unis en plein coeur. « C’était très beau, délicieux à entendre, tout le monde était heureux », se rappelle-t-il en souriant.

« Mais nous ne nous attendions pas à ce qu’ils nous attaquent », ajoute-t-il. Et face au déluge de bombes américaines, « on a vite vu qu’on ne pouvait pas faire face ». Nombre de talibans prennent la fuite, certains au Pakistan, d’autres en Iran comme Abdul.

Le régime iranien avait bien peu d’atomes crochus avec les talibans, si ce n’est une aversion commune pour les Etats-Unis.
Il en accueille pourtant des milliers, raconte Abdul Shafiq, tous regroupés ensemble dans des camps, organisés par des « hommes d’affaires ». « On ne sait pas qui ils étaient, mais c’étaient des amis des talibans », explique-t-il.

Il y restera quatre ans, privé d’armes, de combats, de vie. « Je ne voulais rien faire, et de toutes façons je ne sais rien faire d’autre que combattre. On lisait le Coran, mais la vie n’était pas très intéressante ».
Début 2006, l’Afghanistan vient d’élire son parlement. A Kaboul, l’armée américaine, sûre d’elle, décrit les talibans comme « finis ».
A la même époque, Abdul Shafiq revient discrètement dans sa province du Wardak, proche du Kaboul.

« On nous a dit que les Américains arrêtaient beaucoup moins les talibans », dit-il. Il prend la tête d’un groupe d’une trentaine de combattants très mobiles qui vont « de maison d’accueil en maison d’accueil ».

Cela fait déjà quelques années que les talibans ont commencé à se reconstituer, poussés par leur bases à l’étranger.
« Tout est structuré. Les ordres viennent de nos leaders au Pakistan ». Il est moins disert sur les armes et l’argent, qui empruntent les même circuits selon des sources concordantes.

Dans les villages désoeuvrés, las des bombardements américains et déçus par l’aide internationale qui ne vient pas, le discours des talibans contre l' »envahisseur » américain qui « pille la terre musulmane » fait mouche.
D’autres les suivent pour améliorer leur maigre ordinaire avec le butin des convois de marchandises. « Anciens » et « nouveaux » talibans s’autorisent quelques libertés avec le dogme de la « guerre islamique » qui interdit en principe de s’en prendre aux civils, aux prisonniers, les enlèvements sans raison….

Abdul Shafiq justifie ainsi les attentats suicide, « une bonne arme » qui doit « éviter de tuer des civils », ce qui est rarement le cas.
Le trentenaire taliban, dont l’AFP a recoupé les propos auprès de sources locales, passe son temps à se cacher, « rarement deux nuits au même endroit ».

Dans ses montagnes, on lui a parlé de Barack Obama, « qui ne changera rien », et de la Palestine, « où il se passe quelque chose ». Il dénonce la télévision, « contraire à l’islam », et n’a jamais utilisé internet.
Aujourd’hui, selon des sources locales, plusieurs districts du Wardak sont contrôlés ou très fortement sous influence de la rébellion.
Son avenir semble tout tracé: « Tant que les Américains seront là, nous seront face à eux ». Une guerre sainte qui passe avant tout: Abdul Shafiq a une femme et trois enfants de moins de cinq ans, qu’il ne voit presque jamais.

Il prend congé et reprend la route au milieu des flocons de l’hiver afghan. Son année 2009 s’annonce chargée: plus de 20.000 renforts militaires américains sont annoncés, dont plusieurs milliers dans sa province du Wardak.

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