Afghanistan : « Papa part à la guerre… »
Depuis novembre 2008, les 500 chasseurs alpins d’Annecy combattent les talibans dans une zone montagneuse au nord-est de Kaboul. Les hommes du colonel Nicolas le Nen sont suivis dans leur parcours en Afghanistan, alors qu’en France, les familles des soldats font de leur mieux pour supporter leur absence.
La guerre n’est pas un fait divers. Au combat, un mort n’est pas un accident. Le soldat qui s’engage accepte l’idée de tuer ou de mourir. Notre société, qui vit dans l’illusion de la paix, « la der des ders », le « plus jamais ça », l’a oublié.
Quand l’opinion se demande comment dix militaires français ont pu tomber dans une embuscade à Uzbeen le 18 août dernier en Afghanistan, quand les autorités organisent un transport des familles à Kaboul pour « faire leur deuil », quand le président de la République affirme que toute la lumière sera faite sur les circonstances du drame… la mort est traitée comme un fait-divers, une faute dont il faut trouver les responsables.
Les militaires, eux-aussi, ont cru après la chute du mur de Berlin que leur casque lourd s’était transformé en casque bleu réservé au maintien de la paix, option risque Zéro.
« La guerre a déserté nos esprits » a dit un général. Comment passe-t-on du quotidien au chaos, du jour à la nuit, du fait-divers au fait de guerre ? C’est tout l’intérêt de ce reportage dont le titre, déjà, donne le chemin parcouru: « Papa part à la guerre. »
À l’heure de la projection, nous n’avons pu voir que des séquences du film en montage, la moitié environ des cent minutes qui seront diffusées. Quatre cents hommes du 27ème bataillon des chasseurs alpins, basés à Annecy, partent pour base avancée de Tagab, dans la vallée de la Kapisa, lieu de passage des Talibans en provenance du Pakistan.
À seulement 70 km au nord-est de Kaboul, la capitale. Le déroulé est chronologique : hommes à l’entraînement, portraits en famille, vie de caserne, départ à Roissy, arrivée en Afghanistan et engagement sur le terrain.
Il y a le Colonel Le Nen, 43 ans, chef de corps, militaire d’expérience, attentif à ses hommes, regard d’un religieux en croisade ; le capitaine Gruet, marié, cinq enfants, une famille au moule de la tradition, qui ne sait pas encore qu’il va perdre un de ses chasseurs au combat ; le caporal-chef Sene, d’origine sénégalaise, amoureux de l’Amérique, qui porte une casquette de Gi’s dans le civil ; « Yannou », soldat d’élite mais « commando fleur bleue » qui fond devant sa fiancée serrant un nounours dans ses bras et Leïla, secrétaire du capitaine, mais femme en guerre, l’arme au poing en patrouille.
Le colonel encourage une jeune recrue : « Un an et demi de carrière et vous allez commencer par le meilleur (la guerre) ! Pas trop d’appréhension ? » -« Heu… un peu mon colonel. » – « Peur de quoi ? » – « Peur de mourir, mon Colonel. »
À l’heure du départ pour six mois, chacun s’arrache à son milieu social, le capitaine passe un dimanche en famille dans la verte campagne d’Annecy, le caporal-chef embrasse sa femme secrétaire de mairie à Sarcelles et revend sa voiture d’occasion désormais inutile. Huit mille kilomètres plus loin, sur l’immense base américaine de Bagram en Afghanistan, ils écarquillent les yeux : « J’ai l’impression d’être au cinéma…c’est Top gun ! »
Dès le premier accrochage sérieux, le réel de la guerre balaie toute fiction : « Avant, je rêvais de combat. Maintenant, je n’ai pas envie de recommencer… », dit un soldat, sonné. Le pire est à venir. La bataille d’Alasay devait durer trente-six heures, elle va se prolonger une dizaine de jours. Alasay, à 1672 mètres d’altitude, village rebelle en fond de vallée.
Des « insurgés » installés dans une grande école en construction, dos à la montagne. À prendre et à nettoyer. Huit cents hommes, Français et Afghans, des mortiers, des missiles Milan, une couverture aérienne américaine, le nombre et la force.
Il n’empêche, les talibans se battent. La caméra est toujours bien placée, l’image de qualité. Le réalisateur, Géraud Burin des Roziers, lui-même ancien officier chasseur alpin, connaît le métier des armes et crapahute dans les rochers au plus près de fantassins chargés de 45 kg de matériel.
Au sommet d’une crête, une autre caméra, tenue par Philippe Casanova, l’ingénieur du son, donne de la profondeur de champ aux scènes de combat et dévoile un VAB français (Véhicule de l’Avant Blindé) en feu après avoir reçu une roquette de plein fouet. La nuit, l’objectif infra-lumineux suit la patrouille qui doit récupérer le corps du caporal français, tué au volant de son VAB.
L’équipe de secours masque sur le nez, l’extraction, le cadavre du camarade porté dans un sac… tout est dit, simplement, avec pudeur. Sans oublier le visage défait de « Pedro », le chef du VAB miraculé qui a quitté le véhicule juste avant l’impact.
Puis un dernier soldat, ami proche de la victime assis sur le sol, la tête dans les mains, dévasté. Déjà, on perçoit d’autres blessures, graves mais invisibles, que les hommes emporteront dans leur mémoire blessée.
Au lendemain de la bataille, les hommes qui regagnent leur base de Tagab savent déjà qu’ils ne sont plus les mêmes. Leila, femme-soldat, se fait rabrouer par son mari en France pour l’avoir laissé cinq jours sans nouvelles.
À Sarcelles, la femme du caporal Sene refuse de le prendre au téléphone. Et Yannou le commando apprend que sa petite amie au nounours l’a quitté… Sauf dans les films, la guerre n’a jamais été une réussite sentimentale.
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