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Sésime Haiti: La secousse de l’aube.

publié le 23/01/2010 par Jean-Paul Mari

Je suis dans un train de banlieue, à l’ancienne, dur et inconfortable. Le wagon saute sur les rails, le train freine, le grondement devient insupportable. Je me réveille et ouvre un œil. Il est 6H04 et mon lit tremble comme une feuille. Un nouveau séisme !

Le temps de sauter à terre, d’ouvrir la chambre et de s’appuyer de ses deux bras bien fort contre le chambranle de la porte, en position de sécurité si le plafond s’effondrait. Mais la vague souterraine qui fait danser le sol s’éloigne lentement. Tout reprend sa place.

Dans les couloirs de l’hôtel marchent des hommes réveillés, nus, un peu hébétés, qui se lancent des sourires embarrassés. La secousse a atteint 6,1 sur l’échelle de Richter, de quoi dévaster une nouvelle fois Port-au-Prince, faire définitivement basculer les immeubles cassés,
les poteaux de béton et les montagnes de rochers, des millions de tonnes en suspension depuis la catastrophe il y a huit jours.

Heureusement, l’épicentre du séisme cette fois n’est pas sous Port-au-Prince mais à 57 km de là, au nord-ouest du pays, pas très loin de Cap Haïtien qui n’a pas souffert. Mais il a suffit de cette longue secousse d’une vingtaine de secondes pour jeter tous les haïtiens terrifiés dans la rue, ceux qui dorment dans les parcs, sur les trottoirs, sur une bâche, un bout de carton ou recroquevillés sur une chaise, ceux qui n’osent plus franchir le seuil de leur porte, quand il y a encore une porte. Une fois que la « terre ferme » a tremblé sous vous, a écrasé votre maison, tué votre femme, vos enfants et enseveli à jamais vos souvenirs, il n’y a pas un seul endroit au monde où vous puissiez vous sentir en sécurité.

C’est à la fois un bombardement, une effraction, un viol, un arrachement, un exil. Et la mémoire de l’abime. Une secousse, même une petite secousse et tout Port-au-Prince hurle en silence.
Le seul réconfort depuis hier est de ne plus se heurter à la présence obsédante des morts dans la rue. Sur un trottoir, le seuil d’une maison, un placard ouvert, une benne de camion, ils étaient là, partout, noirs et difformes, pestilentiels, effrayants et pitoyables. Le ramassage est pratiquement terminé.

Au carrefour de l’école Nelson Mandela, il ne faudra plus ralentir. Il y a avait un corps, énorme, recroquevillé, posé en plein centre de la chaussée. Des mains anonymes ont bien essayé de le recouvrir d’une chaise, d’une affiche, d’un bout de tissu. Rien n’y faisait. Il émergeait, les bras levés, terrifiant et grotesque, obligeant les automobilistes à tourner autour de ce macabre sens giratoire. La rue est enfin libre, à part quelques blocs de béton effondré. Mais ce matin, à la première secousse de l’aube, ce sont tous ces cauchemars de la nuit qui ont saisi Port-au-Prince à la gorge. Et personne n’a pu se rendormir.


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