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Injustice. Grèce : Sarah Mardini, jeune héroïne syrienne, risque vingt-cinq ans de prison

publié le 28/11/2021 par Maria Malagardis

Célèbre pour avoir sauvé de la noyade les réfugiés qui accostent en Grèce, la jeune Syrienne a inspiré Netflix, mais se retrouve poursuivie par la justice grecque.

Tout a commencé comme un conte de fées moderne, avant de virer au cauchemar. Un revirement du destin, d’autant plus injuste et déchirant, que la jeune Syrienne au cœur de cette tourmente n’était animée que par un seul désir : aider ceux qui mettent leur vie en péril pour atteindre l’Europe.

Or depuis trois ans, Sarah Mardini et 23 autres bénévoles qui aidaient les réfugiés accostant sur l’île grecque de Lesbos sont accusés de «trafic humain», de «blanchiment d’argent», de «fraude», «espionnage», ou encore d’appartenir à une «organisation criminelle», selon un rapport de police de 86 pages soumis à la justice grecque.

Le procès devait s’ouvrir ce jeudi à Lesbos, mais le tribunal a reporté le procès à une date ultérieure après s’être déclaré incompétent pour juger l’avocat qui se trouvait parmi les prévenus. Sarah, aujourd’hui âgée de 29 ans, et ses coaccusés risquent vingt-cinq ans de prison.

Contrairement aux autres, ne sera pas présente au tribunal. La jeune femme a appris en fin de semaine qu’un juge grec a refusé de lever l’interdiction d’entrée en Grèce qui la frappe depuis son expulsion fin 2018 vers l’Allemagne, le pays qui l’avait accueillie après son arrivée en 2015 sur les côtes grecques.

C’est précisément cette arrivée qui a des allures de légende. Elle fera même de Sarah et de sa sœur cadette Yusra les héroïnes d’un film les Nageuses, diffusé l’an prochain sur Netflix. Les deux jeunes filles ont grandi à Damas dans une famille de champions de natation.

Leur père est d’ailleurs entraîneur. Le chaos de la guerre civile le persuade de pousser les deux sœurs sur les routes de l’exil. Après un long périple, elles se retrouvent un soir d’août 2015 sur une plage turque, invitées à embarquer sur un canot pneumatique prévu pour sept personnes, mais encombré de vingt passagers. Très vite, l’embarcation prend l’eau, le moteur tombe en panne.

L’île de Lesbos est encore distante de plus de cinq kilomètres. Les deux sœurs plongent, et pendant trois heures et demie, «sous la pression d’un vent fort et de vagues immenses» a rappelé Sarah récemment, elles vont tirer le canot vacillant jusqu’aux côtes grecques.

Nageuse olympique et ambassadrice

Auréolées du prestige de cet acte de courage exemplaire, Sarah et Yusra sont vite accueillies comme réfugiées à Berlin. La cadette va participer aux Jeux olympiques de 2016 et 2020 en tant que membre de l’équipe de natation des réfugiés.

En avril 2017, Yusra est nommée ambassadrice du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Sarah, elle, décide fin 2016 de retourner à Lesbos. Elle s’engage auprès d’une ONG locale, scrute toutes les nuits la mer en quête d’un bateau en perdition. Jusqu’à ce 21 août 2018, où elle est arrêtée à l’aéroport de Lesbos, d’où elle s’apprêtait à rentrer en Allemagne pour reprendre ses études.

Au même moment, son camarade au sein de la même ONG, Sean Binder, est également arrêté. Le duo avait été intercepté par la police grecque quelque temps auparavant, accusé de circuler dans une jeep avec de fausses plaques d’immatriculation. Ils affirment ne rien savoir, elles auraient été fournies par le précédent propriétaire.

«Ce ne sont que des jeunes pleins d’innocence, comme il y en avait des centaines à cette époque à Lesbos. Venus pour aider dans l’urgence de la situation et se vouant corps et âme à leur mission», soupire un bénévole grec de Lesbos qui a croisé Sarah et Sean. Une fois arrêtés, les deux jeunes bénévoles vont passer plus de cent jours en prison.

Sarah, à Athènes, dans l’austère prison de Korydallos. Sean, dans celle de l’île de Chios, voisine de Lesbos, avec ses cellules surpeuplées aux matelas remplis de punaises, dont il gardera un souvenir horrifié. Ils seront finalement libérés sous caution, 5 000 euros chacun, et expulsés.

Aujourd’hui âgé de 27 ans, Sean a confessé au quotidien britannique The Guardian combien cette procédure judiciaire a pesé comme une «épée de Damoclès», bloquant depuis trois ans tout projet d’avenir. Revenu le week-end dernier en Grèce pour assister au procès, le jeune Irlandais né en Allemagne d’un père vietnamien ayant fui son pays après la chute de Saïgon s’est avoué «terrifié» par ce procès.

En réalité, les premières charges examinées à partir de ce jeudi ne concernent que des délits passibles de huit ans de prison, les accusations les plus lourdes faisant encore l’objet d’une enquête. Mais le message a bien été compris par les humanitaires qui aident les réfugiés en Grèce.

«Criminalisation de la solidarité»

L’actuel gouvernement ultraconservateur de Kyriakos Mitsotakis a déjà fait passer une nouvelle loi restreignant leur capacité d’action et s’est rendu complice d’innombrables «push-back», comme on appelle ces renvois forcés vers la Turquie de candidats à l’asile, en contradiction flagrante avec le droit européen. A Bruxelles justement, des dizaines de députés ont signé un texte estimant que le procès qui s’ouvre jeudi constitue la tentative la plus achevée à ce jour de «criminalisation de la solidarité».

Il y a une semaine, le quotidien grec le Journal des rédacteurs révélait en outre que l’Agence de sécurité nationale grecque a été chargée d’espionner volontaires, journalistes, ou avocats, tous impliqués dans la défense des réfugiés.

Rappelant pour sa part en juillet qu’il existe «plus de 150 cas de procédures judiciaires contre des humanitaires aidant les réfugiés à travers le monde», Sarah Mardini a conclu : «Ce sont des intimidations. Mais vous savez quoi ? Rien ne nous arrêtera».


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