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Amérique. Série. « L’homme qui plaide contre Dieu » (7)

publié le 29/08/2021 | par Jean-Paul Dubois

L’Amérique, vue par l’écrivain Jean-Paul Dubois.Prix Goncourt.


Avant de devenir l’emblématique antéchrist de l’Amérique, d’incarner le cauchemar de la droite chrétienne, de déchaîner la fureur du Congrès, le mépris des sénateurs, l’acrimonie du président des Etats-Unis, Michael Newdow était simplement un homme de 49ans fraîchement divorcé et exerçant, au bénéfice de ses semblables, l’ingrate profession de médecin urgentiste dans un petit hôpital de Sacramento, Californie. Et puis, sans doute par habitude de prodiguer des soins, l’envie lui vint de guérir son pays de ses penchants théocratiques. Par le canal de la justice des hommes, il s’attaqua donc à Dieu. Ou plutôt aux innombrables incantations qu’en toutes circonstances lui adresse l’Amérique présumée laïque.

Ainsi, au nom d’un athéisme procédurier, Michael Newdow décida d’intenter une action en justice au motif que sa fille, âgée de 8ans, était obligée chaque matin, à l’école publique, lorsqu’elle récitait son «Pledge of Allegiance», sorte de serment civique, de faire une claire référence à Dieu, cela en dépit des principes constitutionnels consacrant la séparation des intérêts de l’Eglise et de l’Etat: «Je serai fidèle à mon drapeau et à la République qu’il représente, une nation respectueuse de Dieu, unie, avec pour tous, la liberté et la justice.»

En «temps de paix», une telle démarche serait sans doute passée inaperçue et aurait été classée sans suite dans les hangars de la justice. Mais après les événements du 11 septembre, détonateurs de nouveaux sentiments patriotiques et d’irréductibles actes de foi, il devenait impensable qu’un tribunal accède à la patiente requête de l’urgentiste et déclare inconstitutionnelle cette allusion religieuse dans les salles de classe. C’est pourtant ce que firent, le 26 juin dernier, les juges du «9e circuit», cour qui regroupe les neuf principaux États de l’ouest.

Sitôt le verdict rendu, Newdow devint pour l’Amérique conservatrice une sorte de Rosenberg méphitique, un communiste endiablé. Au lendemain du jugement, le pays jaillit de son bénitier: un sondage affirma que 88% des Américains voulaient garder la référence à Dieu dans le corps du serment. Le président Bush trouva ce jugement «ridicule» et ajouta que «la Déclaration d’indépendance se référait à Dieu à quatre reprises». Les membres du Congrès rappelèrent qu’ils commençaient chacune de leurs sessions par une prière. Les sénateurs, face aux caméras de télévision, récitèrent debout, la main sur le coeur, «The Pledge of Allegiance» pour réaffirmer que les Etats-Unis étaient une «nation under God». Sur quoi, d’honorables parlementaires se mirent à chanter haut et fort «God bless America» et un élu de l’Ohio insista pour préciser que la devise de son Etat était «With God all things are possible». Dans ce concert des anges, le porte-parole de la Maison-Blanche rappela que la devise de la monnaie américaine était «In God we trust» et que le serment prêté par les nouveaux présidents se terminait par «So help me God».

Michael Newdow, modeste athée, n’en espérait pas tant. Lui qui voulait seulement faire respecter la Constitution et préserver son droit à élever ses enfants dans un monde sans Dieu venait, en réveillant les volcans de la foi, de dévoiler les innombrables annexes divines qui, au fil du temps, s’étaient incrustées dans le corps laïque de l’Etat. Par exemple, cette fameuse référence à Dieu n’existait pas dans le texte original du «Pledge of Allegiance», écrit par Francis Bellamy en 1892. Ce n’est qu’en 1954, sous l’influence du maccarthysme, qu’on rajouta les mots «under God» pour bien se démarquer des «godless communists».

Aujourd’hui, Michael Newdow s’apprête à quitter la médecine pour entamer une nouvelle carrière de juriste. Assis dans l’herbe d’un parc public qui jouxte sa maison, il songe à son aventure: «J’avais intenté mon procès bien avant les attentats. Mais les gens m’ont jugé à la lumière de ce qui s’est passé le 11 septembre, faisant de moi un antiaméricain alors que mon action n’avait pour but que de pouvoir envoyer ma fille à l’école publique sans qu’elle soit endoctrinée par une foi quelconque.»

Scandalisée par une telle attitude, Marta Carrera, qui habite à deux pas de chez Newdow, a donné consigne à ses enfants d’éviter leur voisin. Nuit et jour, l’urgentiste reçoit des appels insultants et des menaces de mort. Il vit en permanence avec un petit émetteur que lui a remis la police et qu’il doit actionner en cas d’agression. «On ne peut plus être athée en Amérique depuis le 11 septembre. Rendez-vous compte: un sondage vient de révéler qu’aujourd’hui, un Américain sur deux refuserait de voter pour un homme politique qui ne croirait pas en Dieu. Les lobbyistes de la foi sont devenus plus puissants que jamais. Sur 534membres du Congrès et du Sénat, 531 ont condamné mon action et 3 seulement se sont abstenus.» Le lendemain de notre rencontre, Sandra Banning, l’ex-femme de Newdow, militante de la droite chrétienne, vint à Sacramento en avion spécial affrété par ses amis politiques pour tenir une conférence de presse et affirmer que leur fille, désormais confiée à sa garde, se désolidarisait des actions de son père et se réjouissait de réciter le « Pledge ».

Pendant ce temps, Newdow, homme sans Dieu, cohérent, fidèle à ses convictions, mais infiniment seul, attend le verdict final de la Cour suprême. Il prépare aussi son premier combat de juriste: s’attaquer à la formule «In God we trust» imprimée sur chaque billet de banque américain et qu’il juge également inconstitutionnelle, pour les mêmes motifs. On imagine déjà les saillies des bedeaux de Wall Street, les remontrances des cardinaux de la finance et les anathèmes des faux moines du 11 septembre. Aussi, sur le point de quitter Newdow, considérant l’ampleur de sa tâche, on lui souhaite bonne chance en le réconfortant de ces quelques mots si chers à l’Ohio: «With God all things are possible.»

JEAN-PAUL DUBOIS

 


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