Vu de l’hôpital: «Cette saleté change sans arrêt de visage» (16)
Chronique de la bataille des hommes en blanc. Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
Le moment de vérité, c’est ici, devant cette porte blanche en préfabriqué, qui donne sur un couloir, une salle d’attente et un siège, nu, isolé, au centre de la pièce. Certains arrivent ici pétris de doute, d’autres annoncent d’emblée : « je l’ai ». Seul le test PCR le dira. Ici, pas de patients, seulement des blouses blanches venues de trois hôpitaux.
Souvent, ils se connaissent. L’un s’assoit sur le siège, l’autre plonge l’écouvillon dans sa narine avant d’envoyer le résultat en virologie. Techniquement, il faut 4H pour savoir ; en pratique, une journée pour des résultats groupés. Agents hospitaliers, aides-soignantes, infirmières, externes, médecins, chirurgiens, chef de service, tout le monde défile, le virus ne fait pas de différence de caste.
Sauf pour l’équipe qui n’a pas eu une seule perte. Leur secret ? Masques et gestes barrières. Seule garantie. Un prélèvement tous les quarts d’heure, 30 personnes par jour, cinq jours sur sept, 150 personnes en une semaine et …une bonne moitié de Covid positif. Des allures d’hécatombe. « Cette saleté change sans cesse de visage », dit Gérard, infirmier, « comme si le virus menait sa vie. Comme s’il y a avait plusieurs virus en un.»
Les symptômes ont changé. Au début, on ne jurait que par la toux sèche et la fièvre. Pas de fièvre, pas de Covid. Ce matin, sur 14 testés, 12 n’ont pas la fièvre. Puis, il y a eu ces terribles maux de tête, les nausées, les vomissements, la diarrhée. Soit. Et, voilà deux semaines à peine, l’anosmie et l’agueusie, en clair, la perte de l’odorat et du goût, qui signent le nouveau Covid Plus. Ou la « catarrhe oculaire », les yeux et la tête en feu. Les derniers patients, eux, s’affaissent sur la chaise de test avec une tachycardie, un cœur qui bat la chamade.
Sans parler des cas « cataclysmiques », ceux qui ont voulu lui tenir tête. Ils étouffent. Direction immédiate, la pneumologie, le scanner qui confirme l’image pulmonaire en « verre dépoli » et l‘admission aux urgences. De pays en pays, de corps en corps, la chose se joue des humains et de leurs certitudes. Gérard a le sentiment d’être planté les pieds sur le sable, face à l’océan. Et de voir arriver les vagues. Marée haute, marée basse. D’abord, les contaminés et, une semaine plus tard, ceux qu’ils ont contaminés. Certains ne viennent ici que pour se rassurer, angoissés par la peur de blesser leurs proches.
Un cadre du service de réanimation est arrivé au bord de la défaillance : « Vous êtes négatif…mais totalement cramé. Arrêtez ! » – « Et qui va me remplacer ? » La plupart, pourtant testés positifs, s’obstinent à rester attelés à la tâche : « on a besoin de moi », « je tiens encore debout, non ? », « Allez ! Il faut que j’y retourne…» Le déni.Ils sont soignants, pas victimes, sont là pour soigner les autres et ne se sentent pas le droit d’être malades… « Pas nous ! »
Noms modifiés
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