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Vu de l’hôpital: Comme si le virus séchait au soleil (24)

publié le 20/04/2020 | par Jean-Paul Mari

Chronique de la bataille des hommes en blanc. Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


C’est un dimanche de printemps à la campagne, un tableau onirique à la Magritte. L’air est transparent, le ciel d’un bleu dense, il fait un soleil magnifique et les blouses blanches sirotent leur café assis sur l’herbe piquée de petites fleurs. Une forme de rêve pour un hôpital de banlieue qui cligne des yeux, éveillé mais un peu abasourdi. Le calme est irréel, mais les faits sont là.

Aux urgences, la salle de déchoquage est vide, presque silencieuse, avec un faible pourcentage de malades Covid au profit des patients «normaux», que les médecins ont plaisir à retrouver. En réanimation, l’accalmie se confirme. Certes, la mort travaille même le dimanche, mais il y a quelques chambres vides, un service réduit de 40 à 32 lits, et un personnel qui ne court plus, comme pour reprendre le pas sur une médecine de catastrophe.

A l’étage, en régulation, la courbe des appels de détresse poursuit sa descente vertigineuse. 7 005 appels par jour au plus fort de la crise, 1 900 aujourd’hui. «Cela correspond à une épidémie classique de gastro», dit le docteur Jean-Luc (1), vieux routier de la régulation. Conséquence : on a fermé deux plateaux et renvoyé à leurs chers examens les étudiants en médecine venus prêter main-forte. «Le plus dur est l’atterrissage», dit un responsable du Samu. Passer du «Covid sale» au «propre», rebasculer les services transformés dans l’urgence en tout-Covid, demander aux infirmières et aux internes, formés en catastrophe à la réanimation, de reprendre les gestes d’avant. Et surtout, gérer l’épuisement des troupes.

Quid d’une deuxième vague ? Pas le 11 mai mais deux semaines plus tard, quand le virus perd ses allures de petit rhume pour aller vous tuer dans la profondeur des poumons. «Cette saleté reste un vrai mystère», dit le professeur Michel, féru de recherche. Sur son écran, la carte du monde, des courbes de modélisation. On croyait le Covid non saisonnier, on attendait un pic, une flèche… c’est un plateau, et le voilà qui s’affaisse d’un coup. On tremblait pour l’Afrique, 1,2 milliard d’humains en plein désert médical, 52 pays sur 54 touchés, mais le continent ne s’enflamme pas. En France : 18 morts à peine en Nouvelle-Calédonie, 12 en Martinique, 0 à Tahiti. Comme si le virus séchait au soleil.

Le professeur montre une modélisation américaine parue dans Sciences, la revue des Nobel, une vingtaine de courbes «en dents de requin», scénarios qui dessinent le parcours terroriste d’un psychopathe qui tue en hiver et s’évanouit en été. Pour revenir un an ou deux plus tard ? Plus ou moins dangereux, mais têtu. De quoi déconcerter scientifiques et politiques. Et s’il suffisait, pour faire fuir l’assassin, d’un simple dimanche estival à la campagne.