Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Arif ou la peur des nouveaux harkis d’Afghanistan

publié le 22/12/2012 | par Jean-Paul Mari

Un jour, les militaires de l’Otan partiront. Et Arif le sait. D’abord, les Français, sans doute avant l’été. Ils quitteront l’immense camp Warehouse, juste à la sortie de Kaboul. Ces Français, justement, les préférés d’Arif qui tient une boutique dans le « village afghan », une sorte de marché en plein air, dans l’enceinte de la base, derrière des murs de bétons et des barbelés. Tout autour d’une petite place s’alignent des boutiques de souvenir, de tapis, de tissus, de foulards en Pachmina. Tous les soldats, qui n’ont pas le droit de se promener en ville, viennent ici faire leurs achats locaux.

Arif adore les Français, qui le lui rendent bien. L’homme est souriant et svelte, cheveux noirs et visage d’ado, chaleureux et drôle, se pique de parler français et dit « c’est la ça » pour « c’est cela ». Il vend à ses clients en kaki du cachemire de qualité à des prix raisonnables, ne leur ment pas, ne les vole pas et n’hésite pas à dévoiler les trucs qui permettent de faire la différence entre pure laine et mauvaise viscose. Il dresse volontiers la table sur le tapis de sa boutique pour inviter à déjeuner soldats ou officiers. Et il montre fièrement les photos accrochées aux murs où il sourit, main dans la main, avec ses invités les plus galonnés.

Oui, un jour, les soldats français partiront…et tout va changer. D’abord, le volume de travail de ses sept boutiques installées à Chicken Street dans le centre de Kaboul, et ses ateliers où il fait travailler jusqu’à 450 ouvrières. Son succès suscite d’ailleurs la jalousie des autres commerçants, pincés de voir ressortir de chez lui des militaires, leurs sacs pleins des articles d’Arif. Sans compter la mafia, qui suit d’un œil attentif les affaires fructueuses et ne manquera pas, une fois les protecteurs envolés, de venir racketter un jour le riche négociant. La nuit, ce sera le tour des talibans. Avec leur couteau pour égorger les « traîtres », ceux qui ont collaboré. Quant à la police, encore heureux si ses hommes corrompus ne viennent pas participer au festin !

Arif a pris sa décision : il veut partir en France. De hauts-gradés, – ceux avec qui on le voit sourire sur les photos -, lui ont promis de lui donner un coup de main pour obtenir un visa. Sauf que l’Ambassade est plus circonspecte, promet certes d’étudier les dossiers, « au cas par cas » mais veut savoir si , vraiment, le danger est réel, l’homme menacé, sa situation de famille, l’impossibilité de rentrer dans son village avérée, quel poste il occupait avec les Français, interprète ou informateur, etc., etc… En privé, les diplomates parlent de dossiers comptés, « quelques centaines tout au plus ». Arif, lui, attend, plein d’espoir dans « ses amis français » mais terrifié par les menaces des autres.

La procédure administrative risque d’être longue. Six mois, un an ? Arif espère que, d’ici là, la mafia et les talibans ne seront pas plus rapides que les diplomates français.

Kaboul, 18 décembre 2012

 

Lire ou voir aussi:

Afghanistan : les ombres d’un retrait (2012)

Afghanistan: La guerre perdue (2012)

Afghanistan: le risque d’une guerre sans fin (2009)


COPYRIGHT LE NOUVEL OBSERVATEUR - TOUS DROITS RESERVES